« La France méridionale qui avait conservé si longtemps le dépôt des Sciences qu’elle avait reçu des Romains, le perdit totalement dans l’invasion des Sarrazins. Dans cette époque funeste, le commerce des Gaules avec la Grèce que des prélats illustres avaient toujours soutenu, se trouva totalement interrompu…
La cour, les évêques, les abbés, tout devint guerrier : aussi dans ce temps là la France fut-elle inondée de médecins, écoliers toujours infidèles, souvent perfides des Grecs modernes et des Arabes, qui avaient déjà fondé un nouvel empire des Sciences en Asie…
Cependant le temps était venu où la Médecine devait en Europe réparer ses pertes et reprendre toute sa splendeur… »
M. Lorry, Docteur Régent de la Faculté de Médecine de Paris – 1767 -
Dans les épisodes précédents j’ai à plusieurs reprises évoqué la Faculté de médecine de Montpellier, certains de ses médecins, (al)chimistes, apothicaires, des étudiants célèbres venant préparer leur doctorat à Montpellier (Rabelais n’est pas le seul loin de là !). J’ai également commencé à évoquer la célèbre Ecole de Montpellier et le vitalisme dont je vais redire un mot.
Pourquoi Montpellier ?
Montpellier ( de « Montis » et « Pastell », Mont Pastel ou Mons Puellarum et Mons Pessulanus ou Pessulus pour d’anciens chroniqueurs) n’est pas née dans l’antiquité mais au Moyen-âge, très exactement le 25 novembre 985, jour de la signature d’un acte de donation accordé par le principal seigneur laïc de la région, le comte de Melgueil (l’actuelle Mauguio) à un chevalier du nom de Gui ou Guilhem, d’un manse situé « in terminio la montepestelario », en échange de services rendus.
Cependant, à peine deux siècles, plus tard, un enseignement médical, né de la pratique hors de tout cadre institutionnel, existe déjà dans cette cité : le seigneur de Montpellier, Guilhem VIII, accorde en effet en 1180(1) le droit d'exercer et d'enseigner la médecine dans les lieux relevant de son autorité.
Il est vrai que durant ce laps de temps la cité méridionale s’est considérablement développée.
Située entre deux voies de circulation importantes au Moyen Âge : la Via Domitia au nord (le chemin de Compostelle), et la route du sel, Montpellier est idéalement placée. Le dynamisme des seigneurs de la ville, les Guilhem, en fera une grande ville marchande, mais son rayonnement, dès l’origine, est lié à sa Faculté.
Le 17 août 1220, le Cardinal Conrad d'Urach, Légat du pape Honorius III, concède à l'« Universitas medicorum » ses premiers statuts. Le 26 octobre 1289, le pape Nicolas IV adresse, depuis Rome, la constitution apostolique « Quia Sapientia », à tous les docteurs et étudiants de la ville de Montpellier.
Ces statuts affirment d’abord la souveraineté de l’Eglise, tant par l’autorité de celui qui les signe que par le patronage qu’ils confèrent à l’évêque de Maguelone, qui a, à cette date, juridiction sur Montpellier.
Elle acquiert très rapidement une forte notoriété dans le sillage de La Faculté de médecine de Salerne, tout simplement parce que le cosmopolitisme de la ville lui permet de recueillir le savoir des Arabes et des Juifs et que très vite une collaboration scientifique s’établira avec Salerne.
La proximité d’Avignon, siège éphémère de la Papauté, la puissance politique fondée sur une l’alliance dynastique avec la couronne d’Aragon et la renommée de certains de ses maîtres, dont le fameux Arnaud de Villeneuve, médecin, chimiste, théologien et astrologue, feront le reste.
En 1349, en pleine guerre de Cent ans, la ville de Montpellier est rattachée à la couronne.
Louis XII, crée les quatre premières « régences » (chaires) rémunérées par les Etats provinciaux et pourvues par concours. Les Lettres Patentes de 1498 attribuent les 4 charges à Jean Garcin, chancelier, Honoré Piquet, Doyen, Pierre Robert et Gilbert Griffe, Docteurs Régents et stipendiés.
La médecine hippocratique, enseignée du IXe au XIIIe siècle par l'École de Salerne, influencera fortement l'École de Montpellier. Cependant l'apport des médecins juifs chassés d'Espagne, fera qu’elle deviendra plus arabiste que salernienne.
Comme je l’ai déjà mentionné, la médecine et les sciences arabes, acquièrent en effet une importance considérable et reste florissante du VIIIe au XVe siècle.
L'érudition des médecins arabes est immense et les œuvres d’Ibn Sina (Avicenne, 980-1037), Rhazes ou Razi notamment, est extrêmement riche. Le codex islamique, le Krabadin (850), était un précieux auxiliaire pour les médecins.
La renommée de Montpellier s’étend et au XVII et XVIIIème siècle, son université devient un véritable vivier de médecins et chirurgiens royaux.
Gui de Chauliac, Arnaud de Villeneuve, Tournemire, Joubert, Rondelet, - le fameux Rondibilis de Rabelais, Richer de Belleval, Rachin, Magnol, Chicoyneau, Lapeyronie, Fizes, Vieussens, Haguenot, Barthez et beaucoup d'autres porteront haut la médecine et les sciences de Montpellier, en particulier la chimie et la botanique.
Sa devise fait référence à la tradition hippocratique dont elle se réclame : Olim Cous nunc Monspeliensis Hippocrates ("Jadis, Hippocrate était de Cos, maintenant il est de Montpellier").
Aujourd’hui, la Faculté de Médecine de Montpellier est la plus ancienne en activité dans le monde (celle de Salerne ayant disparu au début du XIXe siècle).
Histoire par Jean Astruc
Jean Astruc (1684-1766), - gardois , professeur de médecine à Toulouse, Montpellier puis Paris, accessoirement amant et héritier de Mme de Tencin (mère -indigne !- de D'Alembert), un des tout premiers à avoir eu le courage de se spécialiser dans "les maladies honteuses" - a relaté par le menu dans un ouvrage encyclopédique, Mémoires pour servir à l’Histoire de la Faculté de médecine de Montpellier, qui parait en 1767, peu après son décès, l'histoire de cette université qui rayonne sur toute l’Europe et forme jusqu’à la révolution les meilleurs médecins et médecins-chimistes.
Pour les amoureux de l'histoire des sciences et les passionnés d'histoire c'est une véritable mine d'or. J'y puise quelques anecdotes !
Les études
Astruc relate notamment le véritable parcours du combattant du futur licencié et la solennité des remises de diplômes, notamment du doctorat.
La cérémonie du Doctorat appelée Acte de Triomphe se déroulait à l’origine dans l’église Saint Firmin (unique paroisse de Montpellier) et revêtait un grand apparat. Le protocole, établi par un usage presqu’aussi ancien que la Faculté, comprenait 7 étapes, chacune accompagnée d’un petit discours qui en explique la valeur et la signification :
1° Lui donner le bonnet,
2° lui mettre au doigt une bague d’or,
3° ceindre le docteur avec une ceinture d’or,
4° lui présenter le Livre d’Hippocrate,
5 °le faire asseoir dans la chaire à côté du professeur,
6° l’embrasser,
7° lui donner la bénédiction.
L’impétrant, en guise de pot de thèse, fait distribuer des confitures et des gants !
La chimie
A propos de la chimie, il loue la sagesse des médecins de Montpellier :
« La connaissance de la chimie qui commençait à se répandre, fournit de nouveaux remèdes à la médecine… Les médecins de Montpellier n’eurent garde de les approuver en aveugles, comme les Empiriques, mais ils n’entreprirent pas non plus de les prescrire sans les avoir examinés. Ils les essayèrent avec sagesse… ils s’en servirent avec prudence. »
Cependant la chimie en tant que telle, fort décriée par certains médecins, n’apparut à Montpellier qu’en 1673, quand Antoine d’Aquin (Daquin), docteur de la Faculté de Montpellier et premier médecin de Louis XIV y fit ériger une charge de Démonstrateur en chimie (Sébastien Matte La Faveur fut le premier).
Elle fut suivie de près par la création d’une chaire de chimie qu’occupa Arnaud Fonsorbe (de 1676 à 1695), qui n’était pas chimiste mais couvrait en quelque sorte les activités du démonstrateur.
Il s’agissait de la 7ème chaire, car aux 4 charges d’origine, Henri IV, véritable bienfaiteur de l’université de Montpellier (parce que cité protestante ?), avait rajouté une chaire d’anatomie et botanique confiée à Richer de Belleval en 1593 et une chaire de chirurgie et pharmacie en 1597.
Henri IV dota surtout richement la Faculté afin qu’elle édifia le fameux Jardin Royal (sous la conduite de Belleval) qui fut achevé en 1598. Il s’agit du plus ancien jardin botanique d’Europe.
Dans la troisième partie de son travail monumental, Astruc recense et décrit les activités les médecins ou étudiants ayant séjourné ou enseigné à Montpellier, de Rigordus (médecin et Goth), qui écrivit une histoire de Philippe Auguste vers 1200, à Pierre Chirac (son prédécesseur), médecin du Régent Philippe D’Orléans, puis premier médecin de Louis XV en 1731, en passant par le grandissime Arnaud de Villeneuve, le célèbre chirurgien Lapeyronie, la dynastie des Saporta, Richer de Belleval que j’ai évoqué plus haut et le plus grand botaniste de son temps Pierre Magnol, Académicien en 1709. Carl von Linné rebaptisa un arbre splendide en son honneur, le magnolia.
Enfin il évoque dans sa dernière partie la vie et les œuvres d’hommes illustres ayant fréquenté l’université de Montpellier : Michel Nostradamus, Jean Héroard, Théophraste Renaudot, François Vautier, médecin et très proche de Marie de Médicis puis de Louis XIII, embastillé 12 ans par Richelieu (par jalousie ?)... et bien sûr François Rabelais, parmi beaucoup d'autres.
Il relate minutieusement la vie du célèbre moine, non sans critiquer son impertinence, et de façon très virulente le Livre V, qui se conclut ainsi :
« Fuyez les hypocrites, les ignorants, les méchants ; affranchissez vous des vaines terreurs ; étudiez l'homme et l'univers ; connaissez les lois du monde physique et moral, afin de vous y soumettre et de ne vous soumettre qu'à elles ; buvez, buvez la science ; buvez la vérité ; buvez l'amour. »
Après avoir douté, comme certains biographes, de son authenticité, Jean Astruc dit ceci du Livre V :
« Cet Ouvrage de Rabelais a été admiré pendant plus de deux siècles, et rendit très célèbre le nom de l’Auteur. Tout le monde le lisait, tout le monde l’apprenait par cœur et il ne fallait pas prétendre au titre d’homme d’esprit, si l’on ne savait pas les plus beaux endroits. Cette prévention a duré longtemps, elle a tenu bon contre les censures et les condamnations…
Cependant cet Ouvrage, n’est dans le vrai qu’un amas de contes sans ordre ni liaison, où l’on ne connaît point d’objet ni de plan, où les obscurités les plus grossières sont multipliées, où tout est plein d’allusions impies aux paroles des Livres saints et de profanations de ce qu’il y a de plus respectable dans la Religion... »
On voit que deux siècles plus tard les bons professeurs de médecine de Montpellier ne se réjouissait guère d’avoir eu un confrère de la sorte !
Rabelais à Montpellier
Rabelais arrive à Montpellier le 16 septembre 1530. Il avait déjà un certain âge et « on crut pouvoir lui faire la grâce de l’admettre bientôt au Baccalauréat (le premier novembre de la même année »
Rabelais étudia toute l’année 1531 « il y explique dit-il, devant un auditoire nombreux (frequenti auditorio) les aphorismes d’Hippocrate l’Abrégé de Médecine de Galien ».
En 1531, il joue une comédie avec ses antiques amis (dont Antoine Saporta) : « La Morale Comédie de celui qui avait épousé une femme muette » (voir Pantagruel, Livre 3, chap. 38).
« Je ne ris jamais oncques tant que je fis à ce Patelinage » dit Rabelais !
On retrouve Rabelais à Lyon de 1532 à 1535 ; en 1536 il est à Rome avec le cardinal Jean du Bellay (parent du poète), qui y est ambassadeur (certains affirment qu'il y fut espion !).
Il est à nouveau à Montpellier en 1537 ; il fut promut au Doctorat le 22 mai de cette année là, sous la Présidence d’Antoine Griphy. Il y resta toute l’année. Avait-il le dessein de s'y établir ?
On retrouve dans les registres des Procureurs des Ecoliers que Rabelais dispensa des Leçons publiques et notamment un traité d’Hippocrate qu’il interpréta en Grec.
En 1538 il reçoit un écu d’or comme honoraire de cours d’anatomie.
" Cependant il quitta le dessein de s’établir à Montpellier, il revint à Paris où le cardinal du Bellay le détermina à se fixer à l’état Ecclésiastique : il le pourvut dit-on d’une Prébende dans le Chapitre de Saint Maur. "
Université de grand prestige, Montpellier sera donc de tous les débats qui agitent la médecine et l’histoire naturelle.
Voila pourquoi l’essentiel des articles consacrés à la chimie et à la médecine dans l’Encyclopédie ont été confiés à des montpelliérains et que Diderot, sous l’influence de Bordeu, laissera l’Encyclopédie assurer la propagande du vitalisme de l’Ecole de Montpellier, dont je vais parler dans l’épisode suivant.
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Un concours de recrutement en chimie au XVIIIème siècle
Ancien président d’une commission de recrutement en chimie dans une université de Montpellier, j’ai cherché à connaître les us et coutumes de nos prédécesseurs et j’ai retrouvé une excellente étude du Docteur Louis Dulieu dans un volume de La Revue d’Histoire des Sciences de 1957, intitulé : Un concours en chimie au XVIIIème siècle.
On sait que ce n’est qu’au début du XIXème siècle qu’apparurent les Faculté des Sciences et Ecoles de Pharmacie. Comme nous venons de le voir, avant la révolution, la chimie était enseignée en Faculté de Médecine, souvent sous l’autorité de médecins.
En ce qui concerne l'Université de médecine de Montpellier, j'ai dit plus haut que cet enseignement fut créé en 1676 et fit l'objet d'une chaire spéciale, qui fut occupée successivement jusqu'à la Révolution par quatre professeurs : Arnaud Fonsorbe (1676-1695), Antoine Deidier (1697-1732), Antoine Fizes (1732-1765) et Gaspard- Jean René( 1767-1792).
Toutefois aucun d'eux n'avait des qualités de chimiste, si bien qu'on dut confier les démonstrations à des démonstrateurs de chimie nommés à cet effet.
Le seul vrai concours de chimie eut lieu en 1759 et fut ouvert pour assurer le triomphe de Gabriel-François Venel dont j'ai déjà indiqué qu'il rédigea l'article Chymie de l'Encyclopédie. Il s'agissait en réalité de pourvoir une chaire de médecine. Cependant Venel était un chimiste réputé qui avait déjà fait ses preuves et l'Université désirait le recruter, il fut donc décidé qu'il porterait uniquement sur la chimie, afin de mieux mettre en valeur ses connaissances. Les douze questions habituelles eurent donc pour titre : « Quaestiones chemicae duodecim ».
En fait le véritable concours en chimie concernait le poste de Démonstrateur.
Louis Dulieu relate celui qui débuta au Palais épiscopal le 31 mars 1761. Il y eut 4 candidats et le jury de haute volée comportait 4 éminents professeurs de la Faculté : Fizes, Venel, Le Roy et Barthez.
Le lundi 6 avril, à deux heures de l'après-midi, le concours s'ouvrit avec le futur vainqueur Pierre-Jacques Willermoz., cette fois-ci dans la Salle des Actes de l'École. Chaque membre du jury déposa dans le bonnet carré du Grand Vicaire trois sujets à tirer au sort, cependant que le Chancelier portait le sablier qui devait veiller à ce que les candidats ne dépassent pas le temps qui leur était imparti. Celui-ci fut fixé à un quart d'heure, mais il ne semble pas qu'on en ait bien tenu compte.
Les candidats se succédèrent alors alternativement chaque jour ou presque à raison d'un ou deux chaque fois. A l'issue de chaque interrogatoire, les trois autres candidats pouvaient à leur tour poser des questions à celui qui était sur la sellette. Chacun eut ainsi à se présenter six fois devant le jury.
Outre les épreuves orales, il y eut en effet des travaux pratiques. En effet chaque candidat devait, après avoir répondu au jury et à ses camarades, se retirer chez lui pour y préparer le produit sur lequel il avait disserté. Le lendemain il devait présenter le résultat de sa préparation et en démontrer les propriétés tout en répondant aux questions complémentaires qui pouvaient lui être posées. Ainsi donc chacun dut se présenter trois fois devant le jury pour tirer au sort trois questions et y répondre séance tenante, et trois autres fois, le lendemain, pour y déposer le résultat de ses manipulations. Finalement le concours se termina le samedi 25 avril.
[Notre agrégation actuelle est vraiment du pipi de chat à côté de ce marathon !]
Ce concours, avons-nous vu, devait voir le triomphe de Willermoz qui avait auparavant acquis de solides connaissances en alchimie. Ses réponses furent-elles supérieures à celles des autres? C'est possible. En tout cas, il dut bénéficier de sa situation tout à fait particulière. En effet, le jour même de la proclamation des résultats, le 12 mai 1761, il était reçu docteur en médecine avec la mention chirurgie. C'était la première fois qu'un docteur accédait à un emploi considéré jusqu'ici comme subalterne. Ce choix ne pouvait donc que donner plus de valeur à la charge de démonstrateur royal de chimie.
Willermoz accomplit à la satisfaction de tous ses nouvelles fonctions !
Il repartit cependant vers Lyon, sa ville natale, où il ouvrit un cours de chimie. Il participa comme son frère Jean-Baptiste à la rédaction de l'Encyclopédie.
LIRE
Cuenant, Médecine Art et Histoire à Montpellier, Sauramps médical (2002)
VOIR
Thierry Lavabre-Bertrand : L'histoire de l'école de médecine de Montpellier