À Udo, Tina et tous les autres...
"Je ne connais pas l'amitié des hommes,
J'ai pris mon parti d'un autre royaume.
Au cou de chaque chien, je suis prêt à nouer
Ma plus belle cravate."
La question du droit des animaux se pose aujourd'hui à nous avec une acuité et une urgence nouvelles. La science établit jour après jour plus clairement que les animaux sont capables d'intelligence créatrice et d’éprouver souffrance et bien-être. Dans ces conditions, pouvons-nous continuer à les cantonner au stade de "choses" dont il conviendrait de limiter l'abus ? Faut-il pour autant leur reconnaître la personnalité morale et aller jusqu'à étendre les droits de l'homme à leur bénéfice ? Faut-il, au contraire, différencier ces droits, selon les espèces ? Comment aborder la contradiction qui veut que nous envisagions de leur accorder le droit à la vie quand l'élevage les condamne à une mort programmée par nous ?
Pour répondre à ces questions et à tant d’autres, Boris Cyrulnik l’éthologue, Élisabeth de Fontenay la philosophe, Peter Singer le bioéthicien croisent leurs regards et confrontent leurs savoirs sur la question animale.
Boris Cyrulnik est éthologue et neuropsychiatre ; il est l'une des figures les plus populaires de la science d'aujourd'hui.
Élisabeth de Fontenay est philosophe ; son Silence des bêtes (1998) a marqué les trois coups du retour de la question animale au coeur de nos préoccupations éthiques et politiques.
Peter Singer, fondateur du Mouvement de libération animale, enseigne la bioéthique à Melbourne et Princeton. Il est le fondateur, mondialement connu et fortement engagé, du mouvement de libération animale.
Trois sensibilités, trois parcours, trois formes d’engagement : la voie est tracée, au-delà des divergences et des contradictions, et en partie grâce à elles, pour que le législateur s’attelle à la rédaction du contrat qu’il nous faut maintenant passer sans délai avec nos frères en animalité, au nom de la dignité humaine.
Après une mise en perspective de Karine Lou Matignon, journaliste et écrivain, spécialiste de la relation homme-animal, cet ouvrage comporte 3 parties :
- Les animaux libérés, par Peter Singer
- Les animaux considérés, par Elisabeth de Fontenay
- Les animaux révélés, par Boris Cyrulnik
Voici ICI quelques extraits.
LIRE PLUS BAS :
I - L'animal est l'avenir de l'homme
II - "L'animal que donc je suis"
III - Le propre de l'homme
"Alors, rouvrant ses yeux pleins d'ombre, exténué,
Le chien a regardé son maître, a remué
Une dernière fois sa pauvre vieille queue,
Puis est mort."
V. Hugo
"Le véritable test moral de l'humanité (le plus radical qui se situe à un niveau tel qu'il échappe à notre regard), ce sont ses relations avec ceux qui sont à sa merci: les animaux. Et c'est ici que s'est produite la plus grande déroute de l'homme, débâcle fondamentale dont toutes les autres découlent".
Milan Kundera, L'insoutenable légèreté de l'être
Une nouvelle étude de l'anatomie faciale du chien suggère que nous avons peut-être contribué à créer ce " regard qui tue " en privilégiant les chiens présentant « les yeux de chiens battus », au cours de milliers d'années d'évolution.
Dans PNAS (Actes de la National Academy of Sciences), des chercheurs montrent :
" que la domestication a transformé l'anatomie du muscle facial des chiens spécifiquement pour la communication faciale avec les humains.
Un muscle chargé de soulever intensément le sourcil interne est uniformément présent chez le chien mais pas chez le loup.
Les données comportementales montrent que les chiens produisent également le mouvement des sourcils significativement plus souvent et avec une intensité plus élevée que celle du loup, les mouvements les plus intenses étant produits exclusivement par les chiens."
Les scientifiques en déduisent que les sourcils expressifs des chiens résultent d'une sélection basée sur les préférences de l'homme.
Stanislas Dehaene, neuroscientifique cognitif au Collège de France, a récemment présenté sa quête pour comprendre ce qui rend les humains - pour le meilleur ou pour le pire - si spéciaux.
Le Dr Dehaene a passé sa vie de chercheur à sonder les racines évolutives de notre instinct mathématique ; c'était le sujet de son livre de 1996, « The Number Sense : How the Mind Creates Mathematics ».
Dernièrement, il s'est concentré sur une question connexe : quelles sortes de pensées, ou de calculs, sont propres au cerveau humain ? Selon le Dr Dehaene, une partie de la réponse pourrait résider dans nos intuitions apparemment innées sur la géométrie.
Pour ce neuroscientifique, c'est la capacité à imaginer des objets mathématiques comme un triangle, des lois de la physique ou la racine carrée de moins 1 - qui capture l'essence de l'être humain.
Il y a quelques mois, Dehaene et son équipe ont publié dans PNAS (The Proceedings of the National Academy of Sciences) une étude comparant la capacité des humains et des babouins à percevoir des formes géométriques.
Ils ont pu vérifier que les intuitions de la géométrie sont présentes chez les humains mais absentes chez les babouins (*).
Une tâche simple d'intrusion dans laquelle les sujets doivent trouver laquelle de six formes géométriques est différente, révèle un effet de régularité géométrique dans tous les groupes humains, indépendamment de l'âge, de l'éducation et de la culture, cet effet est absent chez les babouins.
Ces résultats soulignent la propension humaine à l'abstraction symbolique, même dans une tâche élémentaire de perception de formes.
* Les 26 babouins concernés par l'étude vivent dans un centre de recherche du sud de la France, sous la Montagne Sainte-Victoire. Ils adorent les cabines de test et leurs écrans tactiles de 19 pouces.
Ils maîtrisaient parfaitement le test de bizarrerie avec des images non géométriques (par exemple une pomme, parmi cinq tranches de pastèque). Mais lorsque on leur a présenté les polygones réguliers, leurs performances se sont effondrées.
Notre bien-être est étroitement lié à la santé de l'ensemble du monde vivant, des animaux - et en particulier des animaux de compagnie qui partagent la vie de centaines de millions de foyers à travers le monde -.
La revue Nature consacre un dossier (remarquable comme toujours) à l'interaction animal/environnement humain.
L'impact de cette interaction a fait l'objet de travaux considérables dans tous les domaines. J'ai évoqué ICI certains résultats spectaculaires.
Parmi les sujets abordés, les effets du changement climatique induit par l'homme (n'en déplaise au triste individu qui occupe la Maison Blanche) sur la distribution de certaines maladies animales, doit conduire à une approche globale de la santé, qui devrait favoriser le bien-être des humains et des animaux
“Pets are kind of mini-me versions of humans.”
En 2015, après des décennies d'observations, des chercheurs suédois ont quantifié la réduction du risque d'asthme pour les enfants qui grandissent avec des chiens.
Les enquêteurs ont passé au peigne fin les dossiers de plus d'un million d'enfants nés en Suède entre 2001 et 2010.
Ils ont observé que la prévalence de l'asthme était inférieure de 13% dans la population d'enfants (arrivés à l'âge scolaire) dont les familles possédaient un chien.
On sait que le système immunitaire se développe avec le microbiome intestinal - le matériel génétique de la communauté des micro-organismes qui vivent dans l'intestin-
L'hypothèse que les animaux peuvent améliorer notre microbiome est logique : la co-évolution de l'homme avec le bétail et les animaux domestiques nous a fait dépendants de leurs microbes, pour notre santé et même notre survie.
Les chercheurs soupçonnent même que notre longue association avec les canidés signifie que les microbiomes humains et canins ont pu se développer en tandem.
Ces recherches sur la santé animale couvrent un large spectre :
- l'étude des phénomènes de résistance,
- la lutte antiparasitaire,
- l'analyse fine des mécanismes de cancérisation, difficile à réaliser sur un humain qui vit 80 ans, plus abordable sur un canidé dont l'espérance de vie est de 15 ans,
- la vaccination, avec le virus Ebola chez les grands singes...
Ce sont les chiens qui sont le plus souvent observés.
Une étude récente (How dogs stole our hearts) avait établi à quel point les chiens sont proches de nous, beaucoup plus proches que les chimpanzés par exemple.
Elle montrait (par dosage des taux d'ocytocine) que lorsque nos chiens nous regardent dans les yeux, ils activent la même réponse hormonale que celle qui lie une mère et son nourrisson.
La figure de gauche donne un aperçu des bienfaits que peuvent procurer la fréquentation des chiens.
Si chez l'animal en interaction visuelle le taux d'ocytocine - l'hormone de l'amour, du bien-être, du lien social...- augmente de 100%, elle progresse de 250% chez son maître !
Corrélativement le niveau de stress diminue, l'exercice physique et sa durée augmentent, ce qui produit évidemment des effets bénéfiques sur la santé.
Il existe certes en regard quelques désagréments, dont les morsures sont les plus fréquents.
Mon expérience me conduit à penser que dans ce domaine, le maître est le plus souvent responsable.
CI-DESSOUS :
I - L'animal est l'avenir de l'homme
II - "L'animal que donc je suis"
III - Le propre de l'homme
Dans " L'expression des émotions chez l'homme et les animaux " , Charles Darwin écrivait que "Même les insectes expriment la colère, la terreur, la jalousie et l' amour par leur stridulation."
Cent cinquante ans plus tard, la recherche sur les racines évolutionnaires des processus affectifs et des mécanismes qui les sous-tendent, est en plein boum et l'on observe un intérêt croissant pour le comportement émotionnel... des insectes et autres invertébrés.
Des chercheurs viennent de montrer que des bourdons "dopés " à l'eau sucrée devenaient beaucoup plus efficace dans les prises de décision, par exemple dans leur comportement vis à vis de prédateurs. Ils ont pu corréler cet effet à la production de dopamine, un neurotransmetteur impliqué dans le circuit de la récompense chez l' homme. En effet l'application d'un antagoniste de la dopamine supprime l'effet positif de l'eau sucrée.
La flexibilité comportementale de ces insectes est stupéfiante.
Une publication vient à nouveau l'illustrer.
Pour obtenir une récompense, des abeilles ont dû déplacer une bille vers un l'emplacement défini.
D'autres abeilles qui avaient observé la démonstration ont été capables de réaliser la même tâche beaucoup plus rapidement que celles qui n'avaient pas assisté à cette démonstration. Par la suite certaines ont été capables d'optimiser la technique.
Cette expérience prouve deux choses qui n'avaient jamais été observées :
- les abeilles sont capables de réaliser des tâches complexes qui n'ont rien à voir avec leur "métier" d'abeille,
- elles sont capables d'apprendre à grande vitesse et d'améliorer un process, sans se contenter de le copier.
Nous voici bien loin de l'instinct animal qui a si longtemps servi à dévaloriser le vivant animal non-humain.
L'homme, qui s'est arrogé le droit de vie ou de mort sur toutes les espèces animales et végétales, a constamment nié l'existence de toute conscience et de toute intelligence innée chez l'animal non humain.
Aujourd'hui, grâce au talent de quelques équipes de recherche, on sait que le plus imbécile des deux n'est pas celui qu'on pense.
Les capacités cognitives des corvidés sont en particulier exceptionnelles.
Le corbeau de Nouvelle - Calédonie ( moneduloides Corvus ) se distingue par ses compétences sophistiquées pour la fabrication d'outils.
Les origines évolutionnaires du comportement remarquable de cette espèce n'étaient pas clairement établies, faute de congénères permettant des comparaisons instructives.
Des chercheurs anglo-américains viennent d'identifier des compétences semblables sur C. hawaiiensis, une corneille d' Hawaï, qui a disparu à l'état sauvage au début de ce siècle.
Leurs résultats suggèrent que l' utilisation de l' outil fait partie du répertoire comportemental naturel de l'espèce : les jeunes développent l' utilisation de l' outil sans formation, sans contact avec les adultes.
Cette faculté commune à deux variantes d'une espèce n'ayant pu communiquer, mais se situant dans des environnements similaires sur des îles tropicales isolées, suggère que leurs capacités techniques sont apparues de façon convergente.
La pie australienne (Cassican flûteur) est l'un des oiseaux les plus intelligents de la planète.
Il a un beau chant d'une extraordinaire complexité.
Il peut reconnaître et mémoriser jusqu'à 30 visages humains différents.
Ces pies ne sont pas commodes ; les gamins sur leur territoire qui s'avisent de les déranger en gardent quelques traces !
Mais surtout leur intelligence est stupéfiante.
Des scientifiques de l'université de la Sunshine Coast en Australie en ont fait les frais récemment.
En fait, le premier tracker s'est éteint une demi-heure après la mise en place !
Dans un acte de coopération remarquable, la pie portant le traqueur s'était immobilisée pendant qu'une autre pie travaillait sur le harnais avec son bec. En 20 minutes, la pie aidante avait trouvé le seul point faible - un seul fermoir, à peine un millimètre de long - et l'avait coupé avec son bec !
En trois jours, les pies avaient retiré tous les appareils !
Cette combinaison particulière d'altruisme et de capacité cognitive à résoudre des énigmes est rarissime. Elle avait été observée lorsque des parulines des Seychelles avaient aidé d'autres membres de leur groupe social à s'échapper de glues dans lesquelles elles étaient empêtrées.
"L'un des soi-disant "propre de l'homme" est sa capacité d'anticipation. Imaginant un futur difficile, l'humain est capable de renoncer à une satisfaction immédiate pour mieux aborder un futur incertain.
Las ! les "propre de l'homme" tombent les uns après les autres.
En 2009, Mathias Osvath (Université de Lund, Suède) publiait ses observations à propos d'un chimpanzé en captivité qui façonnait des pierres au petit matin... pour les lancer le soir sur les visiteurs.
Il semble aujourd'hui que seuls les grands singes ont cette capacité.
Tout naturellement les chercheurs se sont ensuite tournés vers les corvidés dont les capacités cognitives sont exceptionnelles.
Il me semble avoir relaté, quelque part sur ce site, l'expérience suivante :
un chercheur introduit un morceau de viande dans une bouteille d'eau minérale vide et dispose à côté un bâton pointu de taille adaptée. Le corbeau, qui a assisté à la scène, a tôt fait d'utiliser l'outil pour récupérer la nourriture.
Mathias Osvath vient de publier des résultats non ambigus montrant que des corbeaux sont capables d'opter pour une gratification retardée. Après avoir appris à utiliser un outil leur permettant d'ouvrir une boite contenant une grande quantité de nourriture, les 3/4 de ces oiseaux préfèrent choisir cet outil parmi un ensemble d'objets et une petite croquette (dont ils sont friands) qui leurs sont proposés, pour attendre plus de 15 minutes que la boite, plus consistante, leur soit présentée.
Certes, nombre d'études sur l'intelligence animale sont entachées d'anthropomorphisme ; l'animal ne dispose pas des mêmes moyens physiques, du même environnement, des mêmes besoins... Cependant on sait maintenant que beaucoup d'entre-eux peuvent communiquer finement, utiliser des outils élaborés, avoir des gestes tactiques, déployer des mouvements stratégiques...
Lire : Animal minds, Donald R. Griffin
De nombreux animaux utilisent le camouflage pour éviter d'être détectés par d'autres, mais même les objets les plus discrets deviennent détectables par rapport à l'arrière-plan lorsqu'ils se déplacent.
Une façon de limiter la visibilité en se déplaçant est de "se cacher" derrière les mouvements d'objets ou d'autres animaux.
Dans une étude publiée le 07 08 2023 dans la revue Current Biology, des scientifiques montrent comment le poisson-trompette utilise cette stratégie en se cachant derrière un poisson plus gros et plus... sympathique !
L'observation la plus documentée de "shadowing" concerne en effet le poisson-trompette, un piscivore commun trouvé dans les récifs coralliens des Caraïbes qui suit souvent des herbivores tels que le poisson-perroquet.
Les chercheurs ont montré l'efficacité de cette technique pour approcher les proies.
Ils ont réalisé des modèles imprimés en 3D de poissons-trompettes et de poissons-perroquets et les ont placés sur un système de poulies à fil qu'ils ont installé près d'une colonie de poissons-demoiselles (les proies) sur un récif corallien au large de Curaçao.
Les chercheurs ont ensuite tiré les faux poissons le long du fil, ensemble et un par un, et ont filmé la réaction des demoiselles.
Lorsque le modèle de poisson-trompette a été tiré le long du fil, le poisson-demoiselle à proximité a nagé pour l'inspecter, mais s'est ensuite rapidement enfui, le percevant clairement comme une menace.
Lorsqu'on lui a présenté le modèle de poisson perroquet, le poisson demoiselle a nagé pour l'inspecter, mais n'a pas réagi autrement à sa présence.
De même, lorsque le modèle de poisson-trompette était attaché au côté d'un modèle de poisson-perroquet et qu'il passait devant le poisson-demoiselle, le poisson ne s'enfuyait pas.
Cette étude démontre comment les animaux peuvent utiliser d'autres animaux pour la dissimulation visuelle et illustre comment la diversité des stratégies a évolué dans la course aux armements prédateur-proie.
Comme tous les amoureux des canidés, je suis convaincu que tous mes chiens - à des degrés divers - étaient capables de percevoir ce que je ressentais.
J'en ai eu maintes fois la preuve.
La revue Biology Letters, publie en ligne une étude qui corrobore pleinement cette observation.
Des chercheurs ont analysé les réactions de 17 chiens adultes de races différentes, confrontés simultanément à différentes expressions de visages connus et à l'écoute de voix familières. Le résultat est éloquent !
C'est la première fois que l'on montre qu'une espèce, autre que l'homme, est capable d'interpréter des expressions vocales et faciales
De récentes recherches montrent que lorsque nos chiens nous regardent dans les yeux, ils activent la même réponse hormonale qui celle qui lie une mère et son nourrisson.
L'étude consistait à doser les taux d'ocytocine dans les urines de couples chien-maître (mâles ou femelles) après quelques secondes (ou minutes) passés à se regarder dans les yeux.
Pour l'animal ayant passé le plus de temps en interaction visuelle, le taux avait augmenté de 130% (et de 300% chez le maître).
Le magazine Science a ouvert un dossier passionnant à propos du meilleur ami de l'homme.
Lire :
- le mystère de la domestication,
- comment le loup est devenu chien.
Voir aussi :
Pourquoi les capacités des chiens sont-elles autant sous-estimées ?
Parce que nous ne voyons en eux que des chefs de meute !
Et les chiens ne sont pas des loups !
A lire : "In defence of dogs", Professeur John Bradshaw
Le Dr John Bradshaw, est le fondateur et directeur de l'Institut Anthrozoology à l' Université de Bristol.
"Les chiens ne veulent pas dominer les gens, ils veulent contrôler leurs propres vies C'est ce que nous visons tous - garder le contrôle de nos propres vies. C'est un besoin biologique fondamental..."
Une nouvelle étude en imagerie magnétique montre que les chiens sont capables d'appréhender réellement des mots et pas seulement des intonations.
Les chiens peuvent reconnaître jusqu'à mille vocables, exprimés de façon totalement neutre nous dit-on aujourd'hui.
Evidemment ce nouveau résultat sur les capacités cognitives des canidés ne me surprend pas, j'ai depuis longtemps testé cette aptitude chez le meilleur ami de l'homme, mais elle rendra moins bête aux yeux des sceptiques, ceux, qui comme moi, ont toujours pensé que l'intelligence animale était considérablement sous-estimée.
Au-delà, ces résultats bouleverseront probablement nos conceptions sur les origines de langue. Comment en effet est-il possible que des espèces aussi éloignées puissent partager des éléments de langage ?
Des chercheurs de l'Université Loránd de Budapest ont dressé 13 chiens pour qu'ils demeurent couchés et totalement immobiles. Ils ont ainsi pu mesurer leur activité cérébrale à l'aide d'IRMs au moment où ils écoutaient leur maître.
Les scientifiques ont découvert que l'hémisphère gauche du cerveau canin interprète les mots, tandis que les régions de l'hémisphère droit analysent l'intonation. Comme les humains :
" Le cerveau humain analyse séparément les mots que nous entendons, mais aussi la manière dont ils sont dits, intégrant les deux types d'informations pour parvenir à un sens. Nos conclusions suggèrent que le cerveau des chiens fonctionne de manière très similaire."
Attila Andics, chercheur à l'Université Loránd de Budapest
L'équipe du professeur Martin Giurfa (Centre de recherches sur la cognition animale - CNRS/Université Toulouse III) vient de publier des résultats étonnants à propos de la cognition animale au terme d'une étude portant sur des... abeilles !
Les auteurs démontrent expérimentalement que le cerveau de ces insectes est capable de fabriquer et de manipuler des concepts abstraits, et peut même utiliser simultanément deux concepts différents afin de prendre une décision face à une situation nouvelle.
Cette capacité, que l'on croyait propre aux humains et à quelques primates, montre que des analyses cognitives sophistiquées sont possibles en l'absence de langage et malgré une architecture neurale miniaturisée (le cerveau d'une abeille c'est un millimètre cube).
Les abeilles n'en finissent pas de nous surprendre. On croyait tout savoir de l'organisation et du comportement de la gent Apis mais une récente étude publiée dans la revue Science, qui décrit le comportement aventureux de certaines éclaireuses au sein de la ruche, nous en dit encore plus.
Elle montre que la recherche du plaisir lié à l'exploration ne se limite pas à l'homme et à d'autres vertébrés : certaines abeilles ont beaucoup plus que d'autres le goût des sensations fortes !
Les déterminants moléculaires de ce comportement particulier ont été analysés et des différences considérables dans l'expression des gènes du cerveau par rapport à d'autres butineuses ont été identifiés au niveau des neuroexcitateurs : catécholamines, glutamate, et de la signalisation gamma-aminobutyrique.(voir sur le site ICI)
Nous voici au cœur de l'épigénétique : si les gènes de ces abeilles sont identiques, leur expression change en fonction des circonstances.
Lire aussi ICI.
I - L'ANIMAL EST L'AVENIR DE L'HOMME
Sacrifiant à une tradition observée chaque année par les présidents américains, Barack Obama a gracié mercredi deux dindes dénommées Apple (pomme) et Cider (cidre) à la veille de Thanksgiving. Apple et Cider, qui pèsent chacune 20,5 kilos, devraient passer le reste de leurs jours dans la propriété de George Washington, le premier président du pays, à Mount Vernon, en Virginie.
La presse internationale
Ce billet, en trois parties, pour m’encourager à mettre de l’ordre dans un dossier que je ne cesse de remanier à chacune de mes nouvelles lectures. Un point d’étape, un brouillon -peu structuré- en quelque sorte, sur l’animalité.
J’aime et j'admire les animaux, domestiques ou sauvages ; qu'ils volent, nagent ou rampent. L’observation de la vie animale apprend beaucoup…. sur l’homme ! Montaigne, La Fontaine et… Darwin l’ont dit avant moi !
Darwin surtout a montré le chemin, il a été suivi par beaucoup d’autres. Par exemple actuellement les travaux à propos de l’altruisme chez l’animal se multiplient.
Autant le regard anthropomorphique de homme sur l'animal m'exaspère, autant la notion d'animalité me passionne. J’exècre bien sûr l’amour des animaux façon Bardot qui s’indigne du sort fait aux moutons le jour de l’Aïd, pretexte à mieux stigmatiser les arabo-musulmans, ou celui qui conduit les dames de Neuilly à fréquenter le salon du prêt à porter pour chihuahua.
Au fond qu'est ce qui distingue toutes les formes de vie ? Et qu'est-ce que la vie ? A l'instar de Descartes on a parlé pour les non humains d'animaux-machines... mais n'évoque-t-on pas aujourd'hui à propos d'objets - les assembleurs moléculaires- de machines auto réplicantes, de nouvelles formes de vie ? (voir ICI sur le site).
On dit que c'est le langage symbolique et un cortex frontal particulièrement développé chez l’homme qui font toute la différence. Il y aurait donc un propre de l’homme : le rire (Bergson), le cuire (hindouisme)… On définit l’homme comme un "animal politique" (Aristote) ou encore un "animal métaphysique" (Schopenhauer)...
Cela suffit-il à conduire à un cloisonnement radical ?
Certains pensent que l'homme est un animal simplement spécialisé dans la cérébralisation, au même titre que le fauve l'est dans course de vitesse, chacun est le champion dans sa catégorie... le lion ne nous battra jamais au échec mais l'homme se fera toujours manger par le lion à la fin de la course...
Sur le rapprochement homme-animal il faudrait parler de Plutarque (Que les bêtes ont l'usage de la Raison), d'Aristote et des Stoïciens, de Montaigne (" L'homme est-il le chef-d'œuvre de la nature, le maître du monde et l'égal des dieux? N'y a-t-il pas vanité à rabaisser la nature animale pour mieux élever la nature humaine ?" ) et bien sûr de La Fontaine («Qu'est-ce donc ?[l'animal] - Une montre. Et nous? - C'est autre chose.»).
Sur le thème « Philosophie, vie et animalité » les recherches explosent, le débat -qui n'a jamais cessé- rebondit.
... saisir la relation féconde qui unit homme et animaux, relation sans laquelle aucune pensée de la nature n’est possible.
« Nous ne dénigrons l’animalité qu’à travers l’homme de ces obscures cavernes, qui se dissimulait sous des masques de bêtes, que nous n’avons cessé de prolonger », disait Bataille...
Laissons donc parler les philosophes, les éthologues, les psychanalystes......
Dominique Lestel est philosophe et éthologue, maître de conférences au département d'études cognitives de l'Ecole Normale Supérieure de la rue d'Ulm. Sa dernière publication : L'animal est l'avenir de l'homme (en écho à Aragon, La femme est l'avenir de l'homme), publié très récemment, a été particulièrement remarquée.
Lestel s’oppose aux représentations classiques de l’animal, et s’intéresse particulièrement aux interactions homme-animal. Il était déjà l’auteur notamment de
L’animalité, essai sur le statut de l’humain (1996) et de Les origines animales de la culture (2001).
Il écrit : L'homme est incontestablement un animal particulier ; est-il pour autant un animal spécial ? Il se pense incontestablement comme tel, mais doit-on le lui accorder ? Les compétences de l'humain sont sans doute différentes ( terme neutre ) de celles des animaux comparables, mais aucune de ces caractéristiques ne suffit à faire sortir l'homme de l'animalité pour autant. Les caractérisations zoologiques admettent des écarts importants sans devoir être remises en cause.
Mais dans ce cas quel est le propre de l'homme ?
Une caractéristique de la notion classique du propre de l'homme est de concevoir ce dernier comme une caractéristique immuable, qu'elle soit spirituelle ( l'homme a une âme, pas l'animal ) ou naturaliste ( l'homme parle, pas l'animal ).
A la place, je propose de penser le propre de l'homme comme une notion qui est essentielle à l'humain pour penser son identité spécifique mais qui reste fondamentalement historique et culturelle. Cette différence éclaircit la situation. On peut pousser le raisonnement jusqu'au bout, en l'illustrant à partir du critère classique du langage. Nous avons tendance à prendre pour une donnée de fait ce qui est une conséquence culturelle.
Que l'homme ait accès à une forme particulière d'expression qu'est le langage, et non l'animal, est sans doute une donnée factuelle, que personne ne remet vraiment en cause de façon sérieuse.
Mais ce qui est considéré comme le propre de l'homme, quand on est très attentif aux discours pertinents n'est pas tant que le propre de l'homme soit le langage, que les utilisations culturelles du langage.
Pour D. Lestel, l’animalité n’est pas une entité : elle naît de la faculté qu’ont les hommes et les animaux de se rencontrer pour former des communautés hybrides (compagnie, élevage, domestication).
Voir notamment ce seminaire : Quelques remarques sur les vies partagées entre l'homme et l'animal de proximité
NB : Je ne parlerai pas du langage, mais pour prolonger ce séminaire je mettrai bientôt au clair ce que j'ai pu saisir de l'élaboration d'une communication chien-homme qui passe par la voix,
le toucher, le regard, le geste... dans laquelle "l'animal" est partie prenante.
...
Bibliographie sommaire dans le prochain billet. On pourra lire en introduction les travaux de Thierry GONTIER (Pr de philosophie à Lyon 3) : De Montaigne à Descartes...
II - "L'ANIMAL QUE DONC JE SUIS"
" Il y a trois grandes manières de concevoir les places respectives de l'être humain et de l'animal : l'animal humanisé, l'animal-objet et l'animal-être sensible. C'est cette dernière conception qui est la plus en accord avec la biologie d'aujourd'hui."
L'animal que donc je suis -qui donne le titre à ce billet- est le dernier ouvrage (posthume) de Jacques Derrida.
Les thèmes chers à Derrida sont la déconstruction (« La déconstruction désigne l'ensemble des techniques et stratégies utilisées par Derrida pour déstabiliser, fissurer, déplacer les textes explicitement ou invisiblement idéalistes ») et la différAnce ("la différance est la différence qui ruine le culte de l'identité et la dominance du Même sur l'Autre ; elle signifie qu'il n'y a pas d'origine (unité originaire). Différer, c'est ne pas être identique".)
VOIR ce petit résumé très clair :
Déconstruction et différAnce
Par Lucie Guillemette et Josiane Cossette, Université du Québec
" Dans l'animal que donc je suis, le philosophe raconte une expérience personnelle. Nu, il remarque soudain que son chat le regarde, et il s'en sent très mal à l'aise, sentant à la fois la honte de sa nudité et la honte de ce sentiment de honte. «Honte de quoi et nu devant qui? Pourquoi se laisser envahir de honte? Et pourquoi cette honte qui rougit d'avoir honte? Devant le chat qui me regarde nu, aurais-je honte comme une bête qui n'a plus le sens de sa nudité? Ou au contraire honte comme un homme qui garde le sens de la nudité? Qui suis-je alors? Qui est-ce que je suis? À qui le demander sinon à l'autre? Et peut-être au chat lui-même?»
Déconstruire la tradition théologique et métaphysique du « propre de l’homme », c’est concevoir le passage de l’animalité à l’humanité comme un continuum, et rejeter ainsi cet anthropocentrisme radical, propre à la modernité occidentale, qui nie aux animaux la possession d’une âme et les ravale ainsi au rang de choses. Avec les conséquences que l’on sait. Une réflexion qui s’inspire notamment de l’École de Francfort et de la philosophie française contemporaine (Deleuze, Lyotard, Derrida, Foucault).
Derrida ne cherche pas l'animalité dans l'homme, et d'ailleurs il n'existe pas un Animal :
« Chaque fois que « on » dit « L'Animal », chaque fois que le philosophe, ou n'importe qui, dit au singulier et sans plus « L'Animal », en prétendant désigner ainsi tout vivant qui ne serait pas l'homme (...), eh bien, chaque fois, le sujet de cette phrase, ce « on », ce « je » dit une bêtise. Il avoue sans avouer, il déclare, comme un mal se déclare à travers un symptôme, il donne à diagnostiquer un « je dis une bêtise ». Et ce « je dis une bêtise » devrait confirmer non seulement l'animalité qu'il dénie mais sa participation engagée, continuée, organisée à une véritable guerre des espèces. »
Il n'hésite pas à évoquer la figure du génocide :
« De la figure du génocide il ne faudrait ni abuser ni s'acquitter trop vite. Car elle se complique ici : l'anéantissement des espèces, certes, serait à l'œuvre, mais il passerait par l'organisation et l'exploitation d'une survie artificielle, infernale, virtuellement interminable, dans des conditions que des hommes du passé auraient jugées monstrueuses, hors de toutes les normes supposées de la vie propre aux animaux ainsi exterminés dans leur survivance ou dans leur surpeuplement même..."
Il cite T.W. Adorno /C. Patterson :
« Auschwitz commence partout où quelqu’un regarde un abattoir et pense : ce sont seulement des animaux. »
Observons à ce propos que la seule espèce animale qui aujourd'hui n'est pas en décroissance, est l'espèce humaine.
Pour Derrida la haine de l'animal et la haine du juif ou du métèque sont du même ordre.
Derrida est en opposition avec Lacan.
Ce qui caractériserait la vie animale ce serait d’après Lacan sa vacuité symbolique. On voit pourquoi cette figure de l’animalité ne pouvait qu’intéresser Derrida, comme la trace écrite, l’animal serait lui-même incapable de trouver sa place dans l’univers du sens symbolique.
Lacan établit la rupture entre l’animal et l’homme à partir de ce critère. L’animal dépourvu du langage serait incapable de dépasser le stade de la feinte nous dit Lacan, au contraire de l’homme qui, poursuit Lacan, serait capable de « feindre le feindre ».
La feinte animale procède d’une aptitude émanant d’une disposition exclusivement imaginaire au réel, c’est-à-dire pour Lacan une disposition permettant l’unification cognitive du champ de la perception, en une organisation globale faite d’objets identifiables et distincts les uns des autres.
Le propre de l’image pour Lacan c’est de proposer une unité dans le réel. Par opposition à l’animal, l’imaginaire humain quant à lui est l’effet d’une inscription fondamentale dans le système des relations symboliques qui précèdent, régulent et font le propre de l’ex-sistence humaine, en tant que l’existence humaine se définit par le fait d’être selon la formule de Hegel puis de Kojève « le désir du désir de l’autre ».
Lacan affirme que l’animal en vertu de ses dispositions imaginaires parvient à reconnaître ses congénères et ainsi à passer d’une forme de vie solitaire à une forme grégaire. Pour autant précise Lacan, ce grégarisme propre à l’animal reste inassimilable à la forme sociale que seule l’existence symbolique de l’homme, révélée par Lévi-Strauss, rend possible.
Raoul Moati, Professeur, Université Panthéon-Sorbonne
Nous voila loin de Descartes et de son discours sur l'animal-machine. Pour Descartes, l'étude du vivant ne nécessite pas une science particulière, elle appartient à la physique mécanique, qui repose elle-même sur la géométrie: tout problème biologique se résout ainsi par des équations. Les veines, artères, muscles, reins, poumons ou cœur sont autant de tuyaux, de rouages, de filtres ou de pompes (Traité de l'homme de Descartes).
Mais alors qu'est-ce qui s'oppose à ce que l'homme soit lui aussi une telle machine?
C'est quoi le propre de l'homme ?
Pour Descartes, l'âme n'a pas de fonction vitale: son seul «attribut» est la pensée: ce qui semble mettre l'homme à l'abri d'une totale réduction mécaniste, car lui seul a une expérience intérieure immédiate de sa pensée (le fameux «Je pense, donc je suis» d'où Descartes conclut «je suis une chose qui pense»).
L'être premier de l'homme, c'est la pensée et non la vie.
La théorie mécaniste de Descartes sera détournée au siècle suivant par La Mettrie, qui écrit en 1747 un traité qui a pour titre L'Homme machine. Il affirme à la fois la thèse de l'animal-machine et la communauté de nature entre l'homme et l'animal; les animaux ont comme l'homme quelque chose que nous pouvons appeler «âme», mais qui n'est qu'un effet de l'agencement de leur corps.
Les théories transformistes de Lamarck et Darwin conduisent à penser l'homme comme un animal évolué: si l'animal est une simple machine, si l'évolution elle-même est une simple interaction mécanique entre la machine et le milieu naturel, sur quel plan penser finalement la «différence» humaine?
J'en viens à Freud. Dans Une difficulté de la psychanalyse (1917) le Viennois voit trois vexations majeures subies par l'homme après l'âge d'or :
- la vexation cosmologique avec les découvertes de Copernic (voir sur le site Le désenchantement du Monde),
- la vexation psychologique, le refoulement (l'atteinte la plus douloureuse),
- la vexation biologique. Il écrit à ce propos :
Au cours de son évolution culturelle, l'homme s'érigea en maître de ses co-créatures animales. Mais non content de cette hégémonie, il se mit à creuser un fossé entre leur essence et la sienne. Il leur dénia la raison et s'attribua une âme immortelle, allégua une origine divine élevée, qui permit de rompre le lien de communauté avec le monde animal.
Il est remarquable que cette outrecuidance soit encore étrangère au petit enfant de même qu'à l'homme primitif et préhistorique. Elle est le résultat d'une évolution ultérieure prétentieuse. Au stade du totémisme, le primitif ne trouvait pas choquant de faire descendre sa lignée d'un ancêtre animal.
Le mythe, qui renferme la cristallisation de cet antique mode de pensée, fait endosser aux dieux la forme d'animaux, et l'art des premiers temps façonne les dieux avec des têtes d'animaux. L'enfant ne ressent pas de différence entre sa propre essence et celle de l'animal ; dans le conte, il fait penser et parler les animaux sans s'étonner ; il déplace un affect d'angoisse qui vise le père humain sur un chien ou sur un cheval, sans intention de rabaisser par là son père. C'est seulement lorsqu'il sera devenu adulte qu'il se sentira si étranger à l'animal qu'il pourra injurier l'homme en invoquant le nom de l'animal.
Nous savons tous que les recherches de Charles Darwin, de ses collaborateurs et de ses précurseurs, ont mis fin il y a un peu plus d'un demi-siècle à cette présomption de l'homme.
L'homme n'est rien d'autre ni rien de mieux que les animaux, il est lui-même issu de la série animale, apparenté de près à certaines espèces, de plus loin à d'autres. Ses acquisitions ultérieures ne sont pas parvenues à effacer les témoignages de cette équivalence, présents tant dans son anatomie que dans ses dispositions psychiques.
Or c'est là la deuxième vexation pour le narcissisme humain, la vexation biologique.
Derrida a fait école et depuis une quinzaine d'années de nombreux philosophes ont reéxaminé ce thème de l'animalité et du "propre de l'homme"
Élisabeth de Fontenay dans Le Silence des bêtes médite sur la manière dont les animaux ont été traités par notre tradition philosophique et religieuse.
Faire parler le silence de l’animal a été nécessaire à l’homme depuis qu’il s’est mis en tête de définir son humanité, non tant par souci de connaissance que par volonté de promouvoir sa dignité. Les adversaires de l’homme triomphant et de son incorrigible vanité – et il y en a toujours eu, heureusement, quoique plus rares, bien entendu, que les « anthropomanes » (les fous du « propre de l’homme ») – n’ont pas manqué de donner aussi la parole aux silences des bêtes.
Quand le discours philosophique est revisité du point de vue de celui qui ne parle pas mais qui est pourtant bien vivant et criaillant, il donne à entendre ce que son logos a tant de mal à comprendre : un être-là tout bête mais prodigieusement présent – un être-bête qu’on concevra difficilement comme radicalement étranger à l’homme, à moins d’exclure de l’humanité des vrais hommes ceux qui parlent bêtement, qui parlent autrement ou qui même ne parlent pas du tout.
L’humanisme du « propre de l’homme » n’a guère su montrer ses capacités de résistance à l’horreur. Ce n’est pas en tentant vainement de le rétablir – après les terribles secousses qui l’ont ébranlé durant ce siècle – que le salut viendra.
Thierry Gontier propose une autre approche :
Une figure qui a été trop oubliée par la post-modernité est celle de l'oikéiôsis en son sens stoïcien : l'animal est ainsi saisi chez les stoïciens comme un être qui possède une forme d'intériorité, étant mû par une représentation de la normalité de sa constitution. Cette figure de l'animal offre une perspective pour l'homme bien différente de celle d'un Jakob Von Uexküll, pour qui ce qui caractérise l'animal est son hébétude et sa captation par le milieu ambiant - éthologie développée sur le plan philosophique et anthropologique par Heidegger puis par Derrida, Sloterdijk ou Agamben, pour aboutir à une "éthique" suspecte de la déprise de soi.
L'oikéiôsis stoïcienne trace un modèle d'animalité pour l'homme plus riche, complexe et fécond du point de vue éthique que celui de la Gennomenheit sous ses différentes figures post-modernes.
Il faudrait aussi parler de Peter Singer (chaire d'éthique à Princeton) et du débat sur l’éthique qu'il suscite.
Il est possible, au moins de façon schématique, d'opposer deux façons d'aborder la question de l'animal en philosophie. La philosophie de l'animalité tente de dégager des traits communs qui s'appliqueraient à tous les animaux et qui seraient l'indice d'une essence propre ; l'éthique des rapports avec l'animal cherche à préciser les règles de juste conduite qui gouverneraient les relations entre l'être humain et les animaux.
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Dans les textes cités, les liens sont personnels.
Quelques références en ligne :
VOIR LE COLLOQUE L'HOMME ET L'ANIMAL organisé par LA SOCIETE FRANCAISE DE PHILOSOPHIE
VOIR CANAL U : "Y-a-t-il une barrière entre l'homme et l'animal ?
Cassin, l’animal dans l’antiquité
La condition animale : Aristote et les stoïciens
L’animal au croisement de la philosophie, de la littérature, des arts et des sciences à l’âge classique (XVIe-XVIIIe siècles) (Actes en cours de mise en ligne)
Georges Chapouthier, Ecole Doctorale de Philosophie, Université PANTHEON-SORBONNE
Elisabeth de Fontenay (interview)
VOIR Portrait de l'humain comme animal particulier qui se pense comme animal spécial par Dominique Lestel
VOIR CHEZ SAURAMPS quelques ouvrages autour de la "philosophie animale"
VOIR ICI QUELQUES OBSERVATIONS D'ETHOLOGUES CONTEMPORAINS
ELEMENTS BIBLIOGRAPHIQUES ACCOMPAGNANT UN COURS DE L3 à L'UNIVERSITE PAUL VALERY, MONTPELLIER
VOIR ce blog à l'occasion de l'année de la biodiversité
III -LE PROPRE DE L'HOMME
« L’essence de l’homme repose dans son existence » M. Heidegger
Mon intérêt pour les animaux va donc bien au delà de la compassion... (mais, bien que non végétarien, chaque fois que mon regard croise les beaux yeux maquillés d'une génisse de l'Aubrac, je ne suis pas très fier de moi !).
Comme Derrida je pense qu'il n'y a pas d'un côté l'homme et de l'autre l'animal. Il y a des animaux.
Au fond, si je devais me situer par rapport aux animaux qui me sont le plus proches (les chiens que je côtoie depuis toujours), je parlerais de l’angoisse.
On retrouve chez beaucoup d'auteurs, exégètes des existentialistes ou de Freud, la mise en avant de cet autre et irréfutable propre de l'homme qui est l'angoisse.
(Voir une ébauche sur le site ICI).
Chez les existentialistes, l'angoisse ne désigne pas un simple sentiment subjectif et ne se confond pas non plus avec l'anxiété ou la peur. L'angoisse est toujours angoisse du néant et aussi angoisse devant sa propre liberté. Elle désigne l'expérience radicale de l'existence humaine. Pour Heidegger, l'angoisse est l'essence même de l'homme car elle est la disposition fondamentale de l'existence et elle en révèle le fond. L'angoisse n'est pas la peur. On a peur que de ce qui nous est extérieur : le monde et les autres. Mais, on s'angoisse devant soi-même.
Que la physiologie et la chimie organique puissent étudier l’homme comme organisme, du point de vue des sciences naturelles, ne prouve aucunement que dans « ce caractère organique », c’est-à-dire dans le corps expliqué scientifiquement, repose l’essence de l’homme. (.. ) M. Heidegger
L'angoisse n'existerait donc pas chez l'animal. On trouve à ce propos des affirmations catégoriques:
" Il n'est pas possible d'attribuer de l'angoisse aux animaux...Il y a toujours un motif objectif et actuel ... Il peut éventuellement avoir peur sans raison objective suite à un conditionnement de type aversif...lorsqu'il associe un stimulus à une potentielle sensation désagréable qu'il a subie réellement...
Freud et la question de l'angoisse : L'angoisse comme affect fondamental, Christian Jean-Claude (psychanalyste freudien), 2008.
Voir aussi ICI.
Cette pseudo angoisse relèverait donc du réflexe conditionné de Pavlov.
Pourtant des expériences de laboratoire montrent bien que l'animal peut souffrir d'angoisse et dépérir jusqu'à en mourir. Il suffit de confronter un chien de façon répétitive à un stimulus désagréable contre lequel il ne perçoit aucune solution, aucune échappatoire.
La différence se jouerait alors au niveau de la mémoire : chez l'animal l'arrêt de l'expérience conduit à l'oubli et n'a pas de séquelles durables. L'homme lui n'oublie pas !
Freud, qui a bien évolué sur ce concept, a distingué deux sortes d'angoisse : l'angoisse automatique qui est une angoisse signal face à un danger réel de l'environnement et l'angoisse névrotique face à un danger inconnu, un danger pulsionnel lié à une perte ou à une séparation.
Dans un article intitulé : Le surmoi corporel : figures de l'animalité chez Freud, P.L. Assoun (Université Paris 7), Champ psychosomatique (1995, 4, 35-51), écrit à propos de la position freudienne :
Au-delà du contexte néo-darwinien du discours freudien, d'étonnantes perspectives se révèlent, qui ont été méconnues dans la position freudienne : en soulignant le caractère générique de l'angoisse dans le règne animal, Freud en arrive à postuler l'existence d'un « surmoi » chez tous les « animaux supérieurs »
L'anxiété (angoisse ?) de séparation existe bel et bien chez le chien, quel que soit le substitut et le confort que le maître peut imaginer pour l'éviter. J'en ai fait, à de multiples reprises, l'expérience. Pourquoi cette séparation est-elle toujours perçue comme dangereuse ou douloureuse alors que le chien qui y est maintes fois confronté, a bien compris qu'aucune souffrance physique n'y est associée ?
Les comportementalistes animaliers expliquent que " chaque individu naîtrait avec un capital d’adaptation qui serait ensuite modulé par divers facteurs : les apprentissages au cours du développement, les déficits éventuels des processus biologiques de l’adaptation, les interactions avec le milieu naturel, la confrontation à des situations stressantes...
Le système neuroendocrinien participe grandement à la naissance et l’entretien de l’anxiété : plusieurs structures nerveuses, neurotransmetteurs et hormones sont impliqués."
Marie Fairon, Thèse de Doctorat, L'anxiété chez les animaux de compagnie, ENV d'Alfort (2006)
Cette description de l'individu ne peut-elle pas s'appliquer à l'homme ?
L'animal que je ne suis pas sait donc qu'il va mourir et l'absurdité de sa condition est une source continue d'angoisse et de souffrance.
Cette angoisse est si forte que l'homme a inventé les religions, la cruauté, les génocides, l'accumulation inutile de richesses... au même titre que la médecine, l'art pariétal, la peinture abstraite ou la musique concrète...
Mais l'anxiété/angoisse de certains animaux -qui ne connaissent ni leur passé, ni leur devenir- est aussi réelle. C'est celle de l'enfant devant la souffrance physique, l'absence des parents, ou face à l'inconnu. Elle est tout aussi porteuse d'un stress, qui peut conduire à l'agressivité, à l'auto mutilation, à l'anorexie ou à la boulimie.
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La notion d'animalité, longtemps définie en creux, par un ensemble de manques : manque de raison (Descartes), manque de liberté (Kant)... est donc beaucoup plus complexe qu'il n'y parait. C'est pourquoi philosophes, psychanalystes, ethologues se sont remis au travail avec ardeur depuis une vingtaine d'années.
En cette année de la biodiversité, où l'on met au clair le désastre provoqué par les activités humaines sur la faune et la flore, il n'était pas inutile de dire que le propre de l'homme c'est aussi de justifier toutes les exactions contre les animaux.
Entre l'homme et l'animal, il y donc à la fois une forte continuité et une certaine spécificité culturelle, si l'on prend bien soin d'affirmer ici le primat de la continuité. Nous sommes à la fois des singes et des philosophes. Et ce dernier statut devrait nous amener à davantage de responsabilité morale dans la manière de traiter les (autres) animaux.
Georges Chapouthier Auteur de Kant et le chimpanzé - Essai sur l'être humain, la morale et l'art, 2009
Ce que dit autrement Dominique Lestel :
"Dans nos contrées, le propre de l'homme est fondamentalement conçu comme un privilège que l'homme a reçu de droit divin : conçu à l'image de Dieu, l'homme peut instrumentaliser l'animal à sa convenance. En ce sens, le propre de l'homme n'est pas tant ce qui différencie l'homme de l'animal, que ce qui place le premier au-dessus du second. Cette conception du propre de l'homme justifie toutes les exactions contre l'animal.
Une autre conception s'en écarte considérablement. Elle conçoit le propre de l'homme non comme un privilège, mais comme une responsabilité. Dans cette perspective, l'homme n'est plus celui qui est au-dessus de toute autre créature vivante, mais celui qui a le souci de toutes les autres créatures vivantes, celui qui est le vivant responsable de l'ensemble du vivant."
Quand Lacan dit que l'animal sait feindre et que l'homme est capable de feindre de feindre, je ne peux m'empêcher de noter que dans le premier cas la malice assure la survie, dans le second elle a aussi pour objet la domination, l'accaparation, l'exploitation du plus faible... voire son extermination.
Avec ce dossier, réalisé par la revue américaine Science, vous saurez presque tout sur le meilleur ami de l'homme.
Par exemple :
- comment les chiens montrent qu'ils vous aiment,
- comment leur cerveau analyse vos odeurs,
- comment sont traduits les sons émis dans le dialogue homme-chien,
- comment réduire des tumeurs canines par injection de bactéries (et application à l'humain),
- comment votre chienne a besoin, comme toute femelle de mammifère, d'ocytocine pour aimer.
Et bien d'autres choses encore !