La Dame à la licorne est une tenture composée de six tapisseries datant de la fin du xve siècle, que l'on peut voir au musée national du Moyen Âge (Thermes et hôtel de Cluny, à Paris).
Ici l'odorat : pendant que la dame fabrique une couronne de fleurs, un singe respire le parfum d'une fleur dont il s'est emparé.
L’odorat est, avec le goût, le plus ancien de nos sens, c'est aussi le plus méconnu, sans doute parce que l’évolution des primates a privilégié la vision au détriment de l’olfaction.
Tous les mammifères, y compris l’homme, ont à peu près le même nombre de gènes qui codent les protéines détectrices d’odeurs, les récepteurs olfactifs. Mais tous les gènes de récepteurs olfactifs ne sont pas fonctionnels pour toutes les espèces.
C’est le pourcentage des gènes olfactifs actifs qui détermine la finesse de l’odorat chez l’animal et chez l’homme.
Dans une étude publiée en 2003, Gilad al, ont établi, par comparaison des séquences ADN de cinquante gènes de récepteurs olfactifs communs aux humains et à différentes espèces de singes, que, chez l’homme, 54 % des gènes étaient non fonctionnels (pseudogènes), contre seulement 28 % a 36 % chez les autres espèces.
Il semble que ce processus de corruption ait débuté il y a de trois à cinq millions d’années, avec une vitesse quatre fois supérieure dans la branche conduisant aux hominidés, par rapport à celles aboutissant aux autres primates.
Lire ICI, Kara C. Hoover, Smell With Inspiration: The Evolutionary Significance of Olfaction, (2010)
La perte de l’acuité olfactive est bien une caractéristique de l'homme moderne, qui a développé la capacité de distinguer les couleurs et d’identifier d’autres membres de l’espèce, par leur aspect plutôt que par leur odeur....
L'homme en se redressant devenait moins soumis à l'olfaction. Son cerveau (système limbique) en devenant plus visuel a pu traiter des informations de plus en plus éloignées. La bouche (les sons) et la main (l'outil) ont alors ajouté chez l'homme deux aptitudes cognitives pour agir sur un environnement de plus en plus vaste.
En quelque sorte, en perdant cette acuité olfactive, l'hominidé a eu le nez creux !
Pourtant, nous savons aujourd’hui que l’homme peut distinguer des centaines de milliers d'odeurs différentes grâce à environ 5 millions de cellules sensorielles. Le chien, qui nous est très supérieur dans ce domaine, en possède 200 millions !
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A propos de l'odorat, des odeurs, des parfums, des centaines d'ouvrages ont été écrit et pourtant le sujet garde sa part de mystère, sans doute parce qu’il se situe au carrefour de disciplines scientifiques aussi variées que la chimie, la physiologie, la biologie moléculaire, les neurosciences, mais aussi les sciences cognitives et sociales ou encore la linguistique (voir par exemple ICI un article qui décrit la façon dont la communauté linguistique structure, depuis la renaissance, le domaine de l'olfaction).
Voici donc un sujet multi/trans/inter disciplinaire qui ne peut que convenir aux objectifs de ce site.
Je parlerai ici bien sûr de la composante moléculaire de la chimio réception, qui ne peut être comprise que si l'on examine la façon dont nous percevons les odeurs. J'évoquerai donc d'abord l'immense travail de deux chercheurs américains, L.Buck et R. Axel, à propos des récepteurs olfactifs. Ils ont obtenu le Prix Nobel de physiologie et médecine en 2004 pour l'ensemble de leur œuvre.
Un lecteur non spécialiste pourra trouver ICI un dossier du CNRS, assez complet, très bien fait, à propos de ce vaste sujet.
Comment sentons-nous ?
La perception d’une odeur commence dans les fosses nasales où les molécules odorantes, constituant l’odeur, se lient à des récepteurs spécifiques.
Chacun de ces récepteurs sert ensuite de relais et déclenche la formation d’un signal spécifique via les neurones.
Ce signal est analysé par le cerveau, il conduit à la perception de l’odeur et aux sensations qui en découlent.
Toute perception d’odeur se fait donc en deux temps.
Le nez transcrit le message olfactif apporté par l’odeur, puis le cerveau le décrypte et permet son identification à partir des souvenirs associés.
Pour distinguer les centaines de milliers d’odeurs, le système olfactif se diversifie tant par la structure de ses récepteurs, que par les voies de transmission de leurs signaux.
Les travaux de Linda Buck et Richard Axel (Prix Nobel de médecine et physiologie 2004)
En 1991, L. Buck et R. Axel publient une étude fondamentale pour la compréhension des bases moléculaires de la perception des odeurs.
Les futurs lauréats du Prix Nobel, ont eu une idée audacieuse. Au lieu de chercher à identifier les récepteurs olfactifs sur l’épithélium des fosses nasales, ils ont essayé de trouver leurs gènes au sein du génome.
Le pari pouvait sembler risquer quand on sait que le génome humain contient environ 23 000 gènes.
Ils ont donc émis l’hypothèse que ces récepteurs appartenaient à la grande famille des protéines de type GPCR (G protein-coupled receptor) qui sont connues pour permettre la communication chimique entre l’extérieur et l’intérieur de la cellule.
En fait, il n’est pas du tout aisé de trouver une protéine spécifique dans un organisme et puis ensuite de l’avoir en quantité suffisante pour l’étudier.
Ces dernières années, une technique révolutionnaire dans le domaine de la biologie moléculaire a émergé : la technique PCR (Polymerase Chain Reaction) qui permet de copier en grand nombre (avec un facteur de multiplication de l'ordre du milliard), une séquence d'ADN ou d'ARN connue, à partir d'une faible quantité (de l'ordre de quelques pictogrammes) d'acide nucléique, donnant alors la possibilité aux chercheurs d’avoir une quantité suffisante de gènes, et donc de leur produit - les protéines. On sait que toute protéine est le produit d’un gène.
Ci-dessous, bref extrait de : Les récepteurs olfactifs et le codage neuronal de l’odeur
de
Uwe J. Meierhenrich, Jérôme Golebiowski, Xavier Fernandez et Daniel Cabrol-Bass, L’actualité chimique, 289 (2005)
" ...La séquence typique des GPCR étant connue, l’ADN codant pour ce type de protéines peut en être déduit et ainsi décelé lors de l’analyse.
L’existence d’une grande famille de gènes exprimant cette nouvelle famille de protéines appartenant à la classe des GPCR a donc été identifiée, révélant de facto la présence de ces protéines dans l’épithélium olfactif. Les bases moléculaires des phénomènes de l’olfaction se trouvaient ainsi posées, ouvrant la voie à d’autres études plus précises sur la localisation, la structure et l’affinité des récepteurs olfactifs vis-à-vis de différents ligands.
L’analyse du génome humain a permis à Buck et à ses collaborateurs de montrer que la famille des gènes qui codent pour ces récepteurs olfactifs était constituée de 339 gènes fonctionnels et de 297 pseudo-gènes.
Par la suite, il a été établi qu’un neurone olfactif donné n’exprime qu’un seul type de récepteur, que chaque type de récepteur a des affinités plus ou moins fortes pour plusieurs odorants et que, corrélativement, une molécule odorante peut activer plusieurs récepteurs.
En conséquence, différents odorants activent plus ou moins intensément des ensembles distincts de récepteurs olfactifs qui peuvent néanmoins se recouvrir partiellement. Ces résultats éclairent d’un jour nouveau la question du type d’interactions se produisant entre les molécules odorantes et leurs récepteurs.
Celles-ci ne sont pas très spécifiques et le modèle qui en résulte est fort éloigné du paradigme "clef-serrure " [dont je parle par ailleurs] souvent évoqué dans les modèles d’interactions biologiques. En fait, il ne s’agit pas ici de reconnaître une molécule particulière, ce qui serait inefficace compte tenu de la grande variété des structures chimiques des odorants. La reconnaissance se fait par un processus faisant intervenir des affinités relatives avec de multiples récepteurs, de telle sorte que l’information qui en résulte est de nature combinatoire.
La reconnaissance des odeurs s’apparente donc à la reconnaissance de formes et on est en droit de parler d’image olfactive projetée au sein du bulbe olfactif.
Le nombre élevé de types de récepteurs olfactifs, le caractère combinatoire de l’information et cet aspect «reconnaissance de formes " permet de comprendre que l’on soit capable de distinguer l’odeur d’un nombre incroyablement élevé de molécules différentes.
Si l’on admet qu’une molécule odorante donnée peut activer seulement trois récepteurs différents (en fait elle interagit avec un nombre bien plus élevé), le nombre théorique de molécules que l’Homme serait susceptible de discriminer serait de l’ordre de 40 millions ! Un nombre du même ordre de grandeur que celui de toutes les molécules connues à ce jour... "
Pour aller (beaucoup) plus loin sur les récepteurs olfactifs, LIRE ICI
Il faut noter qu'une étude de chercheurs du Scripps Research Institute de San Diego, publiée en mars 2011, a encore étendu le champ d'intervention des protéines GPCR.
J’ai déjà parlé des phéromones ICI. Ces molécules inodores interviennent de façon très subtile. Les récepteurs des phéromones appartiennent aussi à la famille des GPCR.
Les phéromones agissent par le biais d’un organe sensoriel particulier appelé organe voméro-nasal.
En fait le système olfactif classique et le système voméro-nasal ne sont pas aussi indépendants qu’on le pensait. Chez l’homme par exemple, le système voméro-nasal est atrophié. Pourtant, nous savons que le comportement humain peut aussi être influencé par des phéromones. J’ai déjà cité l’exemple de jeunes filles en internat, dont les cycles menstruels étaient synchronisés.
Des travaux effectués chez la souris montrent que certains neurones du bulbe olfactif, partie intégrante du système classique, réagissent à une phéromone présente dans l’urine des souris mâles… Ce serait la preuve que les phéromones peuvent parfois utiliser la voie classique des odeurs comme voie alternative.
Sur ce sujet lire aussi ICI.
A suivre : Mais à quoi sert donc ce reste d'odorat chez l'homo sapiens contemporain ? A retrouver la mémoire de bons et mauvais souvenirs ? A fuir les odeurs délétères ?
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PS : Connaissez-vous la synesthésie (c'est à dire de mélange des sens) ? Une sensation éprouvée par certains -dit-on- sous l'emprise de drogues dures.
Baudelaire, un connaisseur, écrivait dans Correspondances :
La nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles;
L'homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l'observent avec des regards familiers.
Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.
Il est des parfums frais comme des chairs d'enfants,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
- Et d'autres, corrompus, riches et triomphants,
Ayant l'expansion des choses infinies,
Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens,
Qui chantent les transports de l'esprit et des sens.
L'équipe anglaise qui a opéré ce patient polonais paraplégique, a transplanté des cellules olfactives engainantes (Olfactory Ensheating Cells en anglais OEC), sur la colonne vertébrale. Ces cellules ont permis aux fibres nerveuses sectionnées de se reconstituer.
On sait que l'épithélium olfactif est une des rares régions du système nerveux à présenter une neurogenèse à l'âge adulte