Etudier l'histoire de la couleur, c'est un peu retracer l'aventure humaine et voyager au coeur des différentes civilisations. L'utilisation de la couleur accompagne l'apparition des premiers hommes modernes qui, il y a plus de 30 000 ans, ornaient les parois de leur habitat de fresques colorées.
Plus tard, les Egyptiens, les anciens Grecs, perfectionneront les techniques tinctoriales et nous légueront de véritables chefs-d'oeuvre qui font le bonheur des plus grands musées du monde.
Pendant longtemps, l'homme a utilisé des pigments naturels d'origine minérale (bleu du lapis-lazuli), animale (le rouge ou carmin de cochenille) et végétale (rouge garance, bleu indigo...) pour produire toute une palette colorée dont tous les secrets n'ont pas été éventés.
A propos de cette palette, j'évoquerai surtout ici ces plantes tinctoriales qui, parfois, cachent si bien les couleurs qu'elles recèlent.
De très nombreux ouvrages leur ont été consacrées, je vais me contenter d'en évoquer quelques unes, qui, au cours de l'histoire, ont été utilisées pour produire ces belles nuances de rouge, de jaune, de noir.
Je m'attarderais plus particulièrement sur le bleu, couleur du ciel et des océans, mais si rare sur terre qu'il fut le symbole de l'opulence et de la noblesse (sang bleu en France, sangre azul des Castillans... car couleur apparente des veines sur une peau exempte du bronzage des métèques !).
Dans les plantes, les pigments sont, selon les cas, contenus dans les feuilles (indigotier), les fleurs (safran), les fruits (brou de noix), les graines (roucou), les racines (curcuma), le bois (bois de campêche) ou la sève (dragonnier).
Je ne parlerai pas ici des techniques d'extraction ou de fixation des couleurs (et de modification des teintes qui l'accompagne) qui peuvent être fort complexes.
Pour le rouge on utilisa les pigments quinoniques, comme ceux contenus dans la garance dont j'ai déjà parlé. Parmi les plantes tinctoriales à anthraquinones on trouve des Rubiacées (la garance...), des Polygonacées (la rhubarbe...) ou encore des Rhamnacées (jujubier...).
Le henné, arbuste épineux de la famille des Lythracées, contient dans ses feuilles le lawsone (2-hydroxy-1,4-naphtoquinone), qui donne de belles teintes qui vont du rouge sombre à l'orangé et au
jaune.
Le carthame des teinturiers (faux safran), originaire d'Egypte, contient dans ses fleurs une benzoquinone qui donne la jolie couleur cerise (ou ponceau) décrite par Pline l’Ancien dans son Histoire naturelle. Les bandelettes des momies égyptiennes en portent la trace.
"L'amour de la beauté a fait imaginer de temps immémorial tous les moyens qu'on a cru propres à en augmenter l'éclat, à en perpétuer la durée, ou à en rétablir les breches ; et les femmes, chez qui le goût de plaire est très-étendu, ont cru trouver ces moyens dans les fardements, si je puis me servir de ce vieux terme collectif, plus énergique que celui de fard.
L'auteur du livre d'Enoc assure qu'avant le déluge, l'ange Azaliel apprit aux filles l'art de se farder, d'où l'on peut du moins inférer l'antiquité de cette pratique. "
Encyclopédie de Diderot et d'Alembert - Article de M. le Chevalier de Jaucourt.
"Nous avons dans Ovide des recettes détaillées de fards, qu'il conseillait de son temps aux dames romaines ? je dis aux dames romaines, car le fard du blanc et du rouge était réservé aux femmes de qualité sous le règne d'Auguste ; les courtisannes et les affranchies n'osaient point encore en mettre. Prenez donc de l'orge, leur disait-il, qu'envoyent ici les laboureurs de Libye ; ôtez-en la paille et la robe ; prenez une pareille quantité d'ers ou d'orobe, détrempés l'un et l'autre dans des œufs, avec proportion ? faites sécher et broyer le tout ; jetez-y de la poudre de corne de cerf ; ajoutez-y quelques oignons de narcisse ; pilez le tout dans le mortier ; vous y admettrez enfin la gomme et la farine de froment de Toscane ; que le tout soit lié par une quantité de miel convenable : celle qui se servira de ce fard, ajoute-il, aura le teint plus net que la glace de son miroir."
" La blancheur est un attribut ontologique de l’aristocrate."
Le blanchiment de la peau constitue la pierre angulaire de la culture cosmétique depuis fort longtemps.
A la Renaissance, la blancheur du teint s’impose aux élites. Les aristocrates se distinguent ainsi des ordres subalternes voués au travail.
La blancheur de la peau conduit à d’une véritable surenchère pratique et technique. On se protège du soleil grâce à des parasols et des ombrelles, on couvre ses mains de gants, sa poitrine de toiles pommadées. On applique, de jour comme de nuit, les compositions blanchissantes dont tant de manuels délivrent les recettes.
Cependant l'usage de ces pommades est bien plus ancien :
" Poppée, cette célèbre courtisanne, douée de tous les avantages de son sexe, hors de la chasteté, usait pour son visage d'une espèce de fard onctueux, qui formait une croute durable, et qui ne tombait qu'après avoir été lavée avec une grande quantité de lait, lequel en détachait les parties, et découvrait une extrême blancheur : Poppée, dis-je, mit ce nouveau fard à la mode, lui donna son nom, Poppaeana pingicia, et s'en servit dans son exil même, où elle fit mener avec elle un troupeau d'ânesses, et se serait montrée avec ce cortège, dit Juvénal, jusqu'au pôle hyperborée." Citation, Encyclopédie de Diderot
En France, cette volonté de préserver un teint d'albâtre, obsédera les femmes de conditions supérieures jusqu'au milieu du 20e siècle. Le culte du soleil, la ruée vers les plages ringardiseront dès lors les visages pâles.
Ainsi, à la cour de Louis XIV, sous ces enduits plus ou moins épais, gras ou pulvérulents, composés de sublimé de mercure, de bismuth, de céruse (plomb), les visages se transforment en masques.
De tels traitements ne manquaient pas de ravager l'épiderme et de conduire à l'usage de nouveaux emplâtres, pour colmater les dégâts infligés par ces métaux.
Dans la grande Encyclopédie, le chevalier de Jaucourt, toujours à l'article FARD, ne manque pas de noter :
" Cependant loin que les fards produisent cet effet, j'ose assurer au contraire qu'ils gâtent la peau, qu'ils la rident, qu'ils altèrent et ruinent la couleur naturelle du visage : j'ajoute qu'il y a peu de fards dans le genre du blanc, qui ne soit dangereux. Aussi les femmes qui se servent de l'huile de talc comme d'un fard excellent, s'abusent beaucoup ; celles qui emploient la céruse, le blanc de plomb, ou le blanc d'Espagne, n'entendent pas mieux leurs intérêts ; celles qui se servent de préparations de sublimé, font encore plus de tort à leur santé ".
Et il cite La Fontaine :
"Les fards ne peuvent faire,
Que l'on échappe au temps cet insigne larron ;
Les ruines d'une maison
Se peuvent réparer ; que n'est cet avantage
Pour les ruines du visage ? "
"Cette artificieuse rougeur
Qui supplée au défaut de celle
Que jadis causait la pudeur. "
ROUGE - Encyclopédie de Diderot - Article non signé
"Est-ce pour réparer les injures du temps, rétablir sur le visage une beauté chancelante, et se flatter de redescendre jusqu'à la jeunesse, que nos dames mettent du rouge flamboyant ? Est - ce dans l'espoir de mieux séduire qu'elles emploient cet artifice que la nature désavoue ? Il me semble que ce n'est pas un moyen propre à flatter les yeux que d'arborer un vermillon terrible, parce qu'on ne flatte point un organe en le déchirant. Mais qu'il est difficile de s'affranchir de la tyrannie de la mode ! La présence du gros rouge jaunit tout ce qui l'environne. On se résout donc à être jaune, et assurément ce n'est pas la couleur d'une belle peau. Mais d'un autre côté, si l'on renonce à ce rouge éclatant, il faudra donc paraitre pâle."
Cette pâleur, qui donnait franchement mauvaise mine, favorisa l'apparition, dès la seconde moitié du XVIe siècle, de nouveaux cosmétiques, et notamment le fard rouge destiné à rehausser l’albâtre des carnations.
Ce sont les (al)chimistes italiens qui les premiers se penchèrent sérieusement sur ce sujet. L'usage du rouge est venu en France avec les Italiens sous le règne de Catherine de Médicis.
Dès le début du XVIIe siècle, les préparations se diversifient.
On trouve quantité de fards rouges avec une grande variété de pigments, minéraux, végétaux ou animaux : le cinabre et le vermillon (dérivés du mercure), le minium (plomb), l’orcanette, les pétales de roses, le ponceau, auxquels s’ajoutent bientôt le bois de santal ou de Brésil, la cochenille, la garance, le safran, la terre mérite (curcuma longa) etc... utilisés seuls ou en composition.
Le fard se décline désormais dans des nuances et des tonalités variables. de véritables assortiments, depuis le rouge foncé que permet d’obtenir la cochenille, en passant par le jaune-orangé de la terre mérite, l’orange vif du safran et jusqu’au rose.
"Surtout, non contents de créer cette gamme, les gantiers-parfumeurs, mais encore tous ceux qui composent le rouge, déploient une argumentation commerciale nouvelle et qui tend à s’homogénéiser dans l’espace public. Numérotés, les rouges doivent désormais correspondre aux différentes carnations, aux coloris de la chevelure, à « l’air de son visage »"
Il est désormais des rouges « à la Reine », pour les apparitions à la Cour – cette seule précision constituant en soi la preuve de la diversité –, des rouges pour la ville et pour le théâtre ; des rouges pour les bals, les fêtes, les spectacles ou les cérémonies ; des rouges pour les voyageurs, pour le jour et pour la nuit.
A noter qu'un rouge à lèvres en bâton apparaît à la même époque.
LIRE : Le rouge des Lumières. Signature de produit et signature de soi dans la France du XVIIIe siècle
et
Images, masques et visages. Production et consommation des cosmétiques à Paris sous l'Ancien Régime
par Catherine Lanoë
Destiné à rehausser la blancheur du teint, le rouge est donc d'un usage courant au XVIIIe siècle.
Or il est parfois composé de substances métalliques dangereuses pour la santé : plomb (minium), mercure (cinabre ou vermillon) et les effets toxiques de ces substances sont dénoncés depuis longtemps par les médecins.
Les gantiers-parfumeurs se lancent donc dans la recherche de recettes végétales (et animales) inoffensives.
Dans la deuxième partie du XVIIIe siècle, la concurrence est vive et certains cherchent même la reconnaissance scientifique en s'adressant à l'Académie Royale des Sciences.
Ainsi, dans les années 1770, deux inventeurs cherchent à faire breveter leur "rouge végétal" par l'Académie.
L'un, Joseph Collin, a les faveurs de la Cour, l'autre, Chafanel Dupon, appartient à la corporation des gantiers-parfumeurs et a pignon sur rue.
Chacun soumet son procédé et un échantillon de son produit à l'Académie, espérant obtenir la paternité de l'invention et un certificat garantissant son innocuité.
Le 19 février 1772, Jean-Paul Grandjean de Fouchy, secrétaire perpétuel de l'Académie, soumet à ses collègues le mémoire de Collin sur « un rouge à l'usage des dames », présenté comme « ne contenant rien de nuisible à la santé ni à la peau ». Désignés par l'institution, les chimistes Bourdelin et Macquer examinent le produit, afin d'y détecter la présence de matières minérales et métalliques. Soumis à une première évaluation sensitive – toucher, odorat, goût –, le rouge est ensuite l'objet d'une analyse chimique s'appuyant sur la théorie des acides et des alkalis.
Leur conclusion confirme que le produit ne contient "aucune matière terreuse, minérale, métallique ou saline qui puisse offenser la peau ".
Même si de tels rouges étaient déjà présents sur la place de Paris, le sieur Collin ne manqua pas de se prévaloir de l'approbation de l'Académie Royale des Sciences.
En 1775, trois ans plus tard, le parfumeur Chafanel Dupon soumet à son tour son rouge végétal à l'Académie. Les deux rapporteurs sont Jussieu (le jeune) et le célèbre chimiste Lavoisier.
Ce dernier se livre alors à une véritable enquête sur la production du rouge végétal à Paris et son origine historique.
Dans son rapport il précisera que le rouge de Collin et de Dupon n'était pas une découverte, que dans l'antiquité des racines de garance et d'orcanette avaient servi à sa fabrication, que les Italiens avaient décrit la préparation d'un rouge végétal, dès le XVIe siècle, à partir de "safran bâtard ou carthame"...
Lavoisier qui est un scientifique sérieux, testera des échantillons de fard rouge produit par une douzaine de parfumeurs.
Il identifiera deux types de rouge : un d'origine animale (issu de la cochenille) et un rouge végétal à base de safran dont il décrira précisément la préparation.
Dans sa conclusion il indiquera que l'Académie ne saurait donner son aval à de telles préparations, que le sieur Collin ne saurait se prévaloir de son approbation et que la requête de Dupon était sans objet.
Cela n'empêchera par Collin et Dupon de continuer à utiliser l'estampille de l'Académie Royale ! Dupon aura même le culot de produire un faux... qui lui vaudra quelques ennuis (voir ci-dessous).
A partir 1776, c'est à la Société Royale de Médecine qui sera chargée d'examiner "les remèdes secrets".
DUPON à l'honneur de donner avis aux Dames qu'il diftribue avec fuccès son Rouge végétal, dont il est l'Auteur, approuvé par l'Académie Royale des sciences. II ne tient que le Rouge très fin & le Rouge fuperfin des Indes, donc les qualités en différent les prix de 6 à 12 & à 24 liv. lefaits Rouges font d'une belle couleur rofe vermeille ; ils ne tombent point ayant chaud. Pour qu'il n'y ait point d'abus, lefdits pots sont couverts de l'approbation de l'Académie Royale des Sciences, pour la facilité des Dames de Province ou en Campagne, afin d'avoir l'utile & fatisfaction en demandant par les numéros dont ci après eft l'explication. N°1 Rouge vif de blonde. N°2 - Rouge plus vif de brune. N°3 - Rouge très vif pour la nuit. N°4 - Rouge encore plus vif pour la nuit, les bals & pour les théâtres. EXTRAITS des Registres de l'Académie Royale des Sciences. Du 26 Juillet 1775 MESSIEURS Lavoisier et De Jussieu, le jeune, qui avoient été nommés pour examiner un Rouge végétal à 1’ufage des Dames, préfenté par le Sieur CHAFANEL DUPON, l’ayant fait compofer devant eux par le Sieur DUPON, pour s'affurer qu'il ne contenoit rien qui pût nuire à la peau, ni altérer la fanté. En ayant fait leur rapport, l’Académie a jugé que ce Rouge, qui ne paroît le céder en rien à celui du Sieur COLIN, approuvé en 1772 , & qui , comme lui, ne contient rien de nuifible à la peau ni a la fanté, avoit les mêmes droits a fon approbation ; en foi de quoi j'ai signé le préfent Certificat. A Paris, le 7 Novembre 1775.
Signé GRANDJEAN DE FOUCHY, Secrétaire perpétuel de l'Académie Royale des Sciences
C'est le domaine des flavonoïdes, vaste famille qui va fournir avec les chalcones, aurones et autres flavonols, toutes les nuances de jaune.
Le réséda des teinturiers (Reseda luteola L), appelé aussi gaude, a permis au chimiste français Michel-Eugène Chevreul de se mettre en évidence et d'isoler son principe actif, la lutéoline (à qui l'on attribue aujourd'hui des propriétés antioxydantes et anti-inflammatoires remarquables).
A noter que la couleur a occupé une grande place dans les travaux de ce savant (un peu oublié). Son essai, De la loi du contraste simultané des couleurs, était bien connu de Delacroix et des impressionnistes et pointillistes.
La gaude fut aussi appelée « herbe des Juifs », car elle servait à teindre en jaune les chapeaux des juifs du Comtat Venaissin, sous le pontificat. Hitler ne fut pas, hélas, le premier à utiliser la couleur jaune pour distinguer les descendants de Moïse !
Les nerpruns (rhamnus), comme le petit nerprun purgatif (qui fournit la graine d'Avignon), donnent des fruits longtemps utilisés pour la teinture des étoffes. Les baies de ce buisson, répandu dans le bassin méditerranéen, étaient déjà connues au début de l'ère chrétienne.
Cependant tous les jaunes ne sont pas des flavonoïdes, on trouve aussi des caroténoïdes comme le safran, les jasmins, le curcuma qui servait à colorer la peau des jeunes mariées en Inde.
Le plus ancien des noirs était obtenu par calcination de bois. Pline l'Ancien parle d'atramentum à propos des noirs de carbone. Dans son Histoire naturelle, il écrit ceci :
XXV- " Nous rangerons également le noir parmi les couleurs artificielles, quoiqu'il soit aussi une terre ayant une double origine. Tantôt il suinte comme une saumure, tantôt pour le préparer on recherche une terre qui est de couleur de soufre. Il y a eu des peintres qui sont allés tirer des sépulcres des charbons à demi brûlés. Tout cela est inutile et nouveau. On fabrique, en effet, le noir de plusieurs façons, avec la fumée que donne la combustion de la résine ou de la poix; aussi a-t-on construit pour cela des laboratoires qui ne laissent pas cette fumée s'échapper. Le noir le plus estimé se fait de cette façon, avec le pinus teda; on le falsifie avec le noir de fumée des fourneaux et des bains, et c'est de celui-là qu'on se sert pour écrire les livres. Il en est qui calcinent la lie de vin desséchée..."
Parmi les bois fournissant des couleurs sombres, du violet au noir, un des plus célèbres est celui que fournit le campêche, le quamochitl des Aztèques, qui les premiers découvrirent les vertus colorantes de sa sève. Celle-ci contient de l'hématoxyline dont l'hématéine est la forme oxydée.
L'hématéine peut donner toute une palette de couleurs : bleu, violet, mauve, rouge sang... et surtout un très beau noir. Sur les étoffes, la couleur obtenue dépend du pH de la préparation, mais également du sel métallique (le mordant) utilisé comme fixateur.
LʼEspagne coloniale récupéra naturellement le bois de campêche des Aztèques pour alimenter en colorants lʼindustrie textile européenne. Cela ne plut point aux Anglais, qui de leur côté importait lʼindigo des Indes.
Il faut dire que dès le début du XIXème siècle la mode est au noir : douairières, veuves, gouvernantes et autres amazones, sont vêtues de soie noire teintée avec les décoctions de ce bois campêche !
Plusieurs affrontements en Amérique Latine entre lʼEspagne et lʼAngleterre, eurent ainsi pour objet le contrôle du bois de campêche. Cela aboutira, en 1862, à la création de l'enclave anglaise du Honduras (aujourd'hui Belize) au coeur de l'empire hispanique.
Il faut noter qu'au 18e siècle, plus de 95 % de la soie, de la laine, du cuir et du coton, étaient colorés avec lʼextrait dʼhématine. En 1950 sa récolte annuelle était encore de 70 000 tonnes.
Mais les colorants de synthèse, de bien meilleure tenue, ont fini par avoir raison du campêche qui n'est plus cultivé qu'aux Antilles.
D'une façon plus générale, il faut évoquer les plantes à tanins, qui donnent des teintes allant du beige au brun et du gris au noir, utilisées depuis la préhistoire.
Les tanins sont des polyphénols complexes, de haut poids moléculaire que l'on peut extraire de pratiquement toutes les parties des végétaux supérieurs.
A partir du chêne, et notamment des noix de galle (excroissances qui se forment sur le chêne suite à la piqûre d'un insecte - le Cynips - pour pondre ses oeufs) on a pu préparer de très belles encres noires pyrogalliques, connues depuis l’invention de l’écriture sur papyrus.
Les feuilles de sumac, riches en tanin, donnent, selon le mordançage, des gris beige, des violets et gris très foncés proche du noir en présence d'oxyde de fer.
Les brous du noyer permettent de préparer le brou de noix qui contient de l'acide humique.
Bien d'autres essences peuvent fournir des nuances de noir comme le châtaignier, ou le théier (Camellia sinensis)...
"L'histoire de la couleur bleue dans les sociétés européennes est celle d'un complet renversement : pour les Grecs et les Romains, cette couleur compte peu ; elle est même désagréable à l'oeil. Or aujourd'hui, partout en Europe, le bleu est de très loin la couleur préférée"
Présentation de l'ouvrage de Michel Pastoureau, "Bleu, l'histoire d'une couleur"
Par contre les Egyptiens aimaient beaucoup le bleu, ils découvrent le premier pigment bleu issu de l'azurite (carbonate de cuivre) et surtout on leur doit le fameux bleu égyptien, lui aussi d'origine minérale, qui va être rapidement adopté par tout le monde antique.
La recette de ce bleu, perdue au Moyen-âge, a été retrouvée récemment par les efforts conjugés de chercheurs du Laboratoire de Recherche des Musées de France et des conservateurs du Musée du Louvre :
" Cette recette repose sur la cuisson d'un mélange spécifique de composés renfermant du silicium, du calcium et du cuivre avec un fondant sodique, dans des conditions très contrôlées :
Environnement clos, atmosphère oxydante du foyer contrôlée par l’utilisation de certains combustibles
Une précision de la température, acquise par les artisans avec la maîtrise de la fusion des métaux (cuisson en atmosphère oxydante entre 870° et 1100°C)."
La palette du bleu minéral est très large : bleu de lapis-lazuli (bleu outremer), bleu de cobalt (dont la synthèse fut réalisée au début du XIXème siècle par le chimiste français Louis Jacques Thénard par combinaison d'oxydes de cobalt et d'aluminium), bleu de Prusse (ferrocyanure ferrique synthétisé au début du XVIIIème siècle)... jusqu'au bleu d'Yves Klein ( IKB, International Klein Blue).
Le bleu végétal est le domaine de l'indigo, teinte fournie principalement par deux plantes très répandues sur la planète : l'indigotier et le pastel des teinturiers (guède). La molécule responsable de la couleur est l'indigotine formée par oxydation à l'air libre de l'indican, hétéroside à noyau indolique.
C'est en Inde, il y a plus de 4000 ans, que l'on commença à cultiver l'indigotier (des textes védiques, antérieur au premier millénaire avant J-C, en atteste).
En Egypte l'on a retrouvé des tissus datant de la Vème dynastie (2500 avant J-C) dont la couleur bleue semble provenir d'indigotiers du Soudan.
Entre le XIVème et le XVIème siècle, la culture et le commerce du pastel furent en grande partie à l'origine de l'essor économique du Lauraguais entre Toulouse, Albi et Carcassonne. Le Val d'Agout et Lautrec (plus connu aujourd'hui pour son ail !) étaient au centre de ce fameux triangle bleu.
De riches pasteliers ont pu édifier à cette époque certains des plus beaux hôtels particuliers de Toulouse, comme l'hôtel de Bernuy ou l'hôtel d'Assézat.
Malgré un édit protectionniste signé par Henri IV en 1609, le pastel ne put résister au commerce britannique autour de l'indigotier. En 1896 il y avait encore près de 2 millions d'hectares d'indigotiers plantés dans les Indes britanniques.
C'est en 1882 que le chimiste allemand Adolf von Baeyer signa l'arrêt de mort du pigment végétal en réalisant la synthèse de l'indigotine, par une simple condensation aldolique entre l'acétone et le 2-nitrobenzaldéhyde.
Mais c'est la BASF (plus grand groupe de chimie au monde aujourd'hui) qui a mis au point, en 1897, la première production industrielle à grande échelle de l'indigo synthétique, à partir de l'aniline.
Rappelons enfin que l'indigo était associé au bleu de Gênes (devenu blue-jeans) et à la serge de Nîmes (blue denim)... deux siècles avant Levi Strauss !
A LIRE
Claire König, La couleur bleue sous tous ses angles
Michel Pastoureau, Bleu. Histoire d'une couleur, Le Seuil, 2002 et aussi : Vert. Histoire d'une couleur, Le Seuil, 2013
Société Française de Chimie, Couleurs naturelles, chimie des plantes tinctoriales
Voir aussi : Bernard Valeur, La chimie crée sa couleur sur la palette du peintre
A VOIR :