L'utilisation intensive des couleurs verte, blanche et noire pour le maquillage des beautés égyptiennes remonte à plusieurs millénaires.
Des chercheurs français qui ont analysé la composition chimique de poudres cosmétiques (datant d'environ 1200 à 2000 ans avant JC) dans leur contenant originel, ont pu montrer que certaines résultaient d'une réaction chimique par voie humide.
Certaines de ces préparations avaient une vocation thérapeutique, comme des fards à paupière à base de plomb.
Parmi les 500 000 documents découverts dans la ville égyptienne d'Oxyrhynque, on trouve de nombreux papyrus à valeur médicale. Un remède contre... la gueule de bois, datant de 1 900 ans, y est notamment décrit.
On y trouve également des remèdes contres les infections oculaires à base de roses séchées, contre les hémorroïdes ou les maux de dent.
Pour le professeur Vivian Nutton (University College de Londres, UCL) il s'agit de "la plus grande collection de papyrus médicaux jamais publiée".
Les papyrus médicaux détenus par l'Egypt Exploration Society sont conservés à la Bibliothèque Sackler de l'Université Oxford.
Par le biais du médicament, chimie et médecine sont intimement liées depuis la nuit des temps… ou presque !
Je reviendrai donc à plusieurs reprises sur ce thème tout au long de ce feuilleton sur les chimies. Je n'évoquerai pas la médecine orientale.
L’utilisation des plantes médicinales, comme celle des instruments chirurgicaux de silex, a commencé avec l’homme du paléolithique. Divers récipients en conservent des traces. Mais en l'absence de documents écrits, il est difficile de reconstituer la pharmacopée préhistorique. Ce savoir se transmettait probablement de générations en générations par certains initiés (sorciers ?).
Parmi les figures gravettiennes de Grimaldi (Ligurie, Italie) on trouve une Vénus qui présente un goitre prononcé qui semble indiquer une forte carence en iode de ces populations montagnardes. Certains pensent que cette carence alimentaire était traitée par l'absorption de plantes riches en iode comme la bourrache (on a pu identifier sur le site des dépôts de racine de bourrache).
Les hommes ont donc su très vite que les plantes contenaient des principes actifs –des molécules chimiques- capables de soigner divers maux.
L’histoire de la médecine, de la thérapeutique, de l’(al)chimie, de la chimie, sont imbriquées. Le sous-ensemble commun se caractérise à l'origine par la constitution, l’utilisation et la transmission d’une pharmacopée.
Pharmacopée : du grec φαρμακοποιΐα [farmakopoiía], « l'art de préparer les médicaments »
Ce n’est que tout récemment, au début du XXème siècle (avec l’aspirine, le paracétamol … qui évincèrent la reine-des-prés ou le saule blanc), que la chimie de synthèse a pris le relais pour fournir des molécules de plus en plus sophistiquées et de plus en plus efficaces.
L'histoire de la médecine commence en Mésopotamie avec le culte consacré au dieu Asclépios (voir Esculape le romain et Imhotep l’égyptien).
La médecine se pratique dans des sanctuaires, Orchomène (Béotie), Trikka (Thessalie), Epidaure (Argolide) et l'île de Cos, sont les plus célèbres. Elle a alors un caractère très religieux ; des prêtres font office de guérisseurs, les consultations se font sous forme d'oracles.
C'est du temps de Périclès, IVe siècle avant notre ère, que la médecine grecque, dans le prolongement des médecines égyptienne et babylonienne de la Haute Antiquité, se rationalise.
A cette époque, deux écoles rivales se partagent l'enseignement.
L'École de Cos(Kos) dont Hippocrate (460 - 370 à 356 av. J.-C.) - qui est pour certains le premier vrai médecin- est le maître incontesté.
Son célèbre serment débute par ceci :
" Je jure par Apollon médecin, par Asclepios (Esculape), par Hygie et Panacée, par tous les dieux et toutes les déesses, les prenant à témoin, que je remplirai, suivant mes forces et ma capacité, le serment et l'engagement suivants. "
Hippocrate est issu d'une famille aristocratique, qui figure parmi les Asclépiades dans l'inscription du sanctuaire de Delphes. Il meurt à Larissa en Thessalie, à un âge avancé (plus de cent ans ?). Son tombeau se situe entre Larissa et Gyrton...
Il voyagea beaucoup, notamment en Méditerranée orientale. Il fut présent à Athènes lors de la peste qui ravagea la cité au début de la guerre du Péloponnèse. Puis il s'installa à Cos (j’ai pu méditer -comme des millions de touristes !- sous le platane où il donna ses cours). On dit que Socrate et Platon le tenaient en grande estime…
La pratique d’Hippocrate est fondée sur observation du patient, l’individualisation du traitement et la qualité de la relation malade- thérapeute.
A l'école de Cos, s'oppose l’Ecole de Cnide (Knidos), ville grecque d'Asie mineure située au nord de l'île de Rhodes, qui préconise une thérapeutique symptomatique établie d'après le diagnostic : c'est la thérapeutique allopathique actuelle.
L'école de Cos préconisait les régimes alors que l'école de Cnide va développer les médicaments et les décoctions de plantes.
L’école de Cnide s’appuyait sur le solidisme : les parties solides de l’organisme sont à l’origine de la vitalité, ce sont ses lésions qui sont susceptibles de donner des maladies
Hippocrate développe au contraire la « Théorie des humeurs » : l’humoralisme, une ancienne théorie de la médecine en Grèce antique. La maladie est avant tout due à un encrassement des humeurs de l'organisme (sang, lymphe, bile, liquide céphalo-rachidien) qu’il convient de purifier.
Les humeurs
Popularisée par Hippocrate cette théorie des humeurs aura un grand succès à l’époque médiévale.
On y retrouve nos fameux 4 éléments d’Aristote. Ce système quaternaire fait entrer en jeu deux qualités actives, le chaud et le froid, et deux qualités passives, le sec et l’humide. Par la combinaison de ces qualités, l’on décèle la présence des 4 éléments : Le FEU est chaud et sec, l’AIR est chaud et humide, l’EAU froide et humide et la TERRE froide et sèche.
Tout ce qui est, au sein de la création comme dans l’homme, est composé de ces quatre éléments : 4 règnes (minéral,
végétal, animal et humain), 4 saisons, 4 directions, 4 tempéraments et 4 humeurs : la bile jaune est chaude et sèche, elle domine en été, le sang, chaud et humide, domine au printemps, le
phlegme, froid et humide, est prépondérant en hiver et la bile noire, froide et sèche, domine en automne. Leur juste proportion est la garantie d’une bonne santé.
La maladie est alors perçue comme un déséquilibre des humeurs, entraînant des symptômes que l’on va s’efforcer de corriger par les
qualités de l’élément opposé. Une maladie froide et humide, les qualités les plus contraires à l’homme, nécessite des aliments chauds et secs. Cette notion de froid/chaleur n’a aucune relation
avec la température ambiante, mais participe à la perception de la nature des aliments au travers des sens : le poivre ou la moutarde produisent une sensation de brûlure, comme le feu, la laitue
ou la pêche rafraîchissent, comme l’eau.
Pour rééquilibrer ces humeurs, Hippocrate utilisera à la fois la « thérapeutique par les semblables » - qui deviendra sous la plume des traducteurs latins "Similia Similibus"- à l’origine de l’homéopathie (principe de similitude de Hahnemann) :
« La maladie est produite par les semblables ; et par les semblables que l'on fait prendre, le patient revient de la maladie à la santé »
Mais aussi la « thérapeutique des contraires » (allopathie) : un remède doit produire des effets contraires aux symptômes de la maladie.
Dès l’origine, tout le potentiel, toutes les ambiguïtés de l’utilisation de la chimie en médecine furent posés : similitudes vs contraires, allopathie vs homéopathie, empoisonnement vs curation…… comme furent utilisées les principales méthodes de diffusion de drogues : aromathérapie, phytothérapie, opothérapie.
Poisons, contrepoisons… premier exemple du bon et du mauvais usage de la chimie en médecine !
En chimie un poison est une substance qui bloque ou inhibe une réaction, le plus souvent en perturbant un processus catalytique.
On empoisonnait beaucoup chez les Grecs et les Romains ! C’est pour se prémunir des effets toxiques de cette chimie que les Grecs inventèrent une fameuse panacée, la Thériaque (du grec thériacos " bon contre les bêtes sauvages ") qui contenait entre autres substances végétales, minérales et animales, des morceaux de vipères censées combattre les poisons.
L'ancêtre des thériaques est le Mithridatium, du nom de Mithridate VI, (roi du Pont), qui contenait déjà 54 ingrédients !
Mithridate, dont le père fut empoisonné par sa mère et que beaucoup voulaient occire, s’était immunisé contre tous les poisons en absorbant quotidiennement une petite quantité de ce mélange.
On prétend, que voulant lui-même s’empoisonner lorsqu’il fut sur le point d'être capturé par son ennemi Pompée, Mithridate échoua, tant son contrepoison était efficace : il s'était « mithridatisé » !
Une application médicale actuelle est la désensibilisation spécifique à un allergène (par exemple pour les acariens).
La thériaque, électuaire, composé pour la première fois par Andromaque, médecin de Néron (qui s’était emparé de la bibliothèque de Mithridate), est sans doute le remède le plus complexe que l’homme ait jamais imaginé de préparer.
Dans la thériaque se retrouvaient mêlés de l’opium, de la scille, des racines d’aristoloche, du gingembre, de l’iris de Florence, de la cannelle, de la semence de navet, des substances minérales comme le bitume de Judée et des matières animales comme le castoréum…
Au IIe siècle, le médecin grec Galien inventa la thériade, qui fut, le premier antidote contre les poisons à base de jus de pavot.
Préparée par les apothicaires, la composition de la thériaque a beaucoup varié. Celle préparée à Montpellier était très réputée. Elle comportait 83 éléments et bénéficiait d'une préparation publique et solennelle devant les professeurs de la Faculté de médecine de la ville (cette tradition se répandit ensuite dans d'autres villes).
Le grand nombre et la diversité des matières mélangées garantissaient l’efficacité des thériaques. De nombreuses variétés de thériaque furent mises au point au cours des siècles et notamment la Thériaque diatessaron ou Thériaque des pauvres dont la formule ne comportait que 4 composants : gentiane, aristoloche, baies de laurier ainsi que de la myrrhe.
La Thériaque d’Andromaque, conservera sa réputation pendant prés de 2000 ans et ne disparaîtra de la Pharmacopée qu’en... 1908 !
Le Livre de la thériaque se présente comme une histoire de la thériaque, depuis une première composition qui ne comprenait que cinq drogues, dont les feuilles de laurier réputées efficaces contre les venins, jusqu’à la célèbre thériaque d’Andromaque, transmise par Galien.
Les premières pages présentent les portraits de neuf médecins grecs qui ont, l’un
après l’autre, repris la thériaque du prédécesseur pour l’enrichir par l’introduction de drogues nouvelles et en élargir ainsi le champ des applications thérapeutiques.
Voici leur nom, en respectant la chronologie et la vocalisation données par le
scribe : Andrūmakhūs al-Qadīm (ou Andromaque l’Ancien), Abrāqilīdus (ou Héraclide), Aflāghūris (ou
Philagrius), Afarqalis (ou Proclus), Yūyāghūris (ou Pythagore), Mārīnūs (ou Marinus), Maghnas al-Ḥimṣī (Magnus d’Emèse), Andrūmakhūs al-Qarīb al-‘Ahd (ou Andromaque le Jeune), Jālīnūs
(Galien).
Si la thériaque reste une panacée légendaire, elle est surtout l’exemple type du concept de « Polypharmacie » qui prétend que plus un remède comprend de principes actifs, plus il sera efficace !
Ce concept mis en forme par Galien, père de la Pharmacie Galénique, s’opposera à la médecine spagyrique chère à Paracelse.
Références à suivre ; ouvrage remarquable :
Jacques Jouanna, Hippocrate. Pour une archéologie de l'École de Cnide
Inscription de Delphes
L'union des Asclépiades
de Cos et de Cnide
a décrété que,
quand un Asclépiade arrive
à Delphes,
s'il désire consulter
l'oracle ou faire un sacrifice,
il doit, avant de consulter,
jurer qu'il est un Asclépiade
par les hommes
Sinon
il n'aura pas accès
à l'oracle en qualité
d'Asclépiade; d'une façon générale,
tout privilège accordé
aux Asclépiades par les Delphiens
lui sera refusé
s'il ne se soumet pas à la règle