Arts et sciences : dialogue pour vivre en paix

Quand l'art rencontre la science

Une réaction chimique par Hicham Berrada
Une réaction chimique par Hicham Berrada

 

 

« La science n’est pas une forme d’art […]. Mais les résultats du chercheur ont une puissance poétique : ils révèlent les fils qui tissent notre réalité, et le mystère qu’il y a en son cœur. L’art et la science ont en commun de questionner le monde en rendant visible l’invisible » 

Jean-Philippe Uzan,  à propos de « Le Rêve des formes »

 

"Science is not an art form... But the researcher's results have a poetic power: they reveal the threads that weave our reality, and the mystery that lies in its heart. Art and science have in common that they question the world by making the invisible visible."

Jean-Philippe Uzan, about "Le Rêve des formes"

 

 

 

 

"Quand l'art parle à la raison et la science à l'émotion. Quand l'art révèle une vérité et la science la beauté... " 

"When art speaks to reason and science to emotion. When art reveals a truth and science reveals beauty... "

 

Jean-Claude Ameisen & Yvan Brohard - Quand l'art rencontre la science - Editions de La Martinière

 

Quand la science se fait art...

Scientifique, passionné par les arts, j'ai souvent, sur ce site, parlé de la fructueuse rencontre entre Art et Science. Souligné par exemple l'étrange beauté de l'imagerie scientifique ou de la microphotographie en biologie.

 

Arts et Sciences

 

Comme le peintre, le musicien ou le poète, le scientifique est aujourd'hui lui aussi bioinspiré et son travail en témoigne.

 

Le pionnier, le maitre, le génie dans le domaine reste Léonard de Vinci qui illustre magistralement, avec ses carnets, le lien entre art graphique et science. (Voir les Codex)

 

Leonardo Da Vinci, génie polymathe

 

Mais ce ne fut pas le seul,  tout au long de l'histoire des sciences, on retrouve des savants qui avaient une passion pour l'art.

J'ai parlé récemment du neuroscientifique Santiago Ramón y Cajal, dont les dessins sont de véritables tableaux.

 

J'ai aussi évoqué les mathématiques où des équations complexes peuvent se traduire par des courbes des plus harmonieuses. Bien sûr, on pense aux fractales.

 

Bref, la cohabitation arts/sciences est une constante. Aujourd'hui elle est protéiforme et elle concerne au premier chef, le vivant.

 

Coraux au crochet et plan hyperbolique

Chaque année, après les pleines lunes de fin octobre et novembre, la grande barrière de corail australienne commence sa ponte annuelle : d'abord les espèces de coraux côtiers, où les eaux sont plus chaudes, puis les coraux du large, l'événement principal.

 

En parallèle, deux nouvelles colonies du Crochet Coral Reef, une œuvre d'art collaborative de longue date qui habite désormais le Schlossmuseum de Linz, en Autriche, et le Carnegie Museum of Art de Pittsburgh, ont été installées.

 

 

À ce jour, près de 25 000 crocheteurs (« reefers ») ont créé un archipel mondial de plus de 50 récifs – à la fois un hymne et un plaidoyer pour ces écosystèmes, forêts tropicales humides de la mer, menacés par le changement climatique . 

 

Dans ces œuvres d’art, les morphologies marines sont modélisées – crochetées – avec une vraisemblance incroyable. Un peu comme les nymphéas de Monet, les coraux au crochet sont des représentations abstraites de la nature.

 

Le plus grand récif laineux à été exposé en 2022 au Musée Frieder Burda à Baden-Baden, en Allemagne, avec quelque 40 000 morceaux de corail provenant d'environ 4 000 contributeurs. C'est la Chapelle Sixtine des récifs au crochet !

 

 

Le crochet hyperbolique

Le plus grand modèle de crochet hyperbolique de Daina Taimina : près de 8 kms de fil
Le plus grand modèle de crochet hyperbolique de Daina Taimina : près de 8 kms de fil

Les ondulations de ces structures sont des variations d’une partie des mathématiques que l’on appelle la géométrie hyperbolique.

 

En mathématiques, la géométrie hyperbolique est une géométrie vérifiant les quatre premiers postulats d’Euclide, mais pour laquelle le cinquième postulat, qui équivaut à affirmer que par un point extérieur à une droite passe une et une seule droite qui lui est parallèle, est remplacé par le postulat selon lequel « par un point extérieur à une droite passent plusieurs droites parallèles à celle-ci » (il en existe alors une infinité).

 

La nature emploie amplement ces formes parce qu’elles constituent un moyen idéal de maximiser les surfaces, ce qui permet aux organismes filtreurs comme les coraux d’enrichir leur apport alimentaire.

 

Pour les humains, le crochetage est le meilleur moyen de fabriquer des modèles de géométrie hyperbolique. Daina Taimina, Ph.D., en a fait la découverte en 1997 à l’université Cornell.

Le Dr Taimina a conçu un algorithme simple : "augmenter le nombre de points dans le rapport constant N+1. Par exemple, disons N = 6 : crochetez six mailles, et sur la septième maille, augmentez en crochetant deux mailles en une ; répétez, rangée après rangée."

 

Curiosité de la géométrie hyperbolique

L'imagerie, l'art numérique

La science aujourd'hui est une fabrique d'images.

 

Sur ce site j'ai déjà publié des photos d'imagerie médicales - notamment du cerveau - qui sont dignes de figurer dans des musées d'art contemporain.

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 VOIR ICI

 

« La réalité virtuelle » ou « la réalité augmentée », « l’art génératif » ou encore « l’art interactif », autant de déclinaisons possibles pour designer l’art virtuel. 

Cette forme d’art nouveau est à la croisée des chemins de l’informatique, de la biotechnologie ou encore du graphisme.

 

Parmi les plus médiatiques dans cet exercice, à la fois radiologue et photographe, Rodolphe von Gombergh détourne les techniques de l’imagerie médicale de pointe (ultra-sons, ondes électromagnétiques, rayons X et imagerie 3D) pour créer son propre univers et révéler ses secrets dans l’art de la trans-apparence ;  une des modalités du Bio Art.

 

Les procédés utilisés permettent de modéliser le corps humain en faisant apparaître les organes comme transparents. Cet explorateur des corps eut l’occasion d’exposer ses premières images médicales au musée Beaubourg (voir ci-dessous).

 

Cet art numérique a sa côte et ses expositions. En mars 2021, une œuvre d’art numérique s'est vendue 69,3 millions de dollars chez Christie’s.

"Everydays: the First 5000 Days", est un collage de 5000 dessins de l'artiste qui se fixe comme contrainte de créer une image par jour. L'œuvre, monumentale, représente 14 ans de travail

A noter que son acquéreur a obtenu… un certificat et un fichier JPEG. Fichier JPEG dont on peut voir une copie en ligne  ; et dont chaque dessin est visible en grand format sur le site de l'artiste. La propriété d'une oeuvre numérique est donc bien singulière !

 

 

Le BioArt

 

Le Bio.art ou BioArt est une pratique artistique dont le support est le vivant. Ici l’artiste utilise la matière biologique comme outil et matériau de ses créations. Pour ce faire il a recours à la biotechnologie  : génie génétique, culture tissulaire, clonage, biomécanique, biophysique...

 

J'ai notamment évoqué ici le travail de  Maria Peñil Cobo qui peint... avec des bactéries (ci-après).

 

VOIR : Microbial Visions

 

 

  

 

Une des modalités du Bio Art consiste à exploiter les moyens analytiques scientifiques pour les ériger en œuvre d’art à part entière. Une sorte de rencontre entre le numérique et le vivant.

Grâce à ces techniques modernes le bio-artiste modifie la nature in vivo et réalise en laboratoires de nouvelles entités vivantes, animales ou végétales.

 

Cette pratique artistique nécessite une formation scientifique solide, ou l'appui de scientifiques confirmés. 

Il s'agit en effet d'un art qui modifie les processus de vie.

Trois modalités possibles :

 

1) Contraindre la biomatière à des formes inertes ou à des comportements spécifiques. Beaucoup d’artistes travaillent sur la frontière entre naturel et artificiel. comme le mobile perpétuel à base photosynthétique d’Amy Franceschini et Michael Swaine.

On peut aussi souligner le travail spectaculaire de Gilberto Esparza, sur «Les plantes auto-photosynthétiques». Son oeuvre artistique se situe aux frontières de l'écologie, de la robotique, de la futurologie. Ses installations sont des oeuvres d'art admirées dans le monde entier (ci-dessous).

 

 

 

 

2) Détourner des outils et des processus biotechnologiques pour en réaliser une œuvre en soi.

 

3) Inventer ou transformer des organismes vivants  sans réels objectifs scientifiques ou industriels

Ainsi, Joe Davis, un artiste américain, chercheur affilié au département de biologie du MIT, est un artiste qui fait des recherches approfondies en biologie moléculaire et bioinformatique pour la production de bases de données génétiques. Il a ainsi encodé des textes à partir des quatre bases A, T, G, C de l’ADN pour  les réimplanter  dans des organismes vivants.

Il a aussi réussi à implanter une carte de la voie lactée dans l'oreille d'une souris.

Ou encore, plus farfelu, enregistré les contractions vaginales des ballerines du Boston Ballet, qu'il a traduit en texte, musique, discours phonétique et finalement en signaux radio !

 

Le BioArt pose ici des problèmes d'éthique... Le bio-artiste le plus connu est sans doute Eduardo Kac, dont la « création » de la lapine Alba (une lapine devenue fluorescente grâce à la protéine GFP) avec l'INRA a été très médiatisée. Son lapin vert est de très mauvais goût... et pas un lapin ne voudrait honorer cette lapine !

 

L'avènement du fameux ciseaux moléculaires CRISPR, dont j'ai beaucoup parlé, va permettre des manipulations génétiques qui devront être sérieusement contrôlées. L'art ne doit pas pousser la science à franchir des limites dans la manipulation du vivant.

 

En 2019, le Centre Beaubourg, à Paris a présenté une exposition qui témoignait de la rencontre entre art et science ; " La Fabrique du Vivant".

Présentées de manière prospective, les œuvres récentes d’une cinquantaine d’artistes croisaient les travaux de recherche de laboratoires scientifiques pour dessiner une sorte d’archéologie du vivant et de la vie artificielle dans la scène artistique.

 

Dans sa présentation, le musée indiquait  que " la création contemporaine tisse de nouveaux liens avec le champ des sciences du vivant, des neurosciences et de la biologie synthétique. Aujourd’hui, art et science explorent la matière même, découvrant des états intermédiaires entre l’inerte et l’animé, le naturel et l’artificiel, qui font évoluer la notion même de « vivant »".

 

 

 

Brandon Ballengée est un des pionniers en matière de BioArt.  Depuis plus de vingt ans, cet artiste, biologiste et militant écologiste américain entend combler le fossé entre l’art et la science.

Ses recherches scientifiques et écologiques, sur le terrain et en laboratoire, sont le terreau d’une œuvre protéiforme qui fait souvent écho à l’histoire et aux techniques de représentation issues du champ de l’art.

Son travail est diffusé au sein de la communauté scientifique mais également exposé dans de nombreuses institutions culturelles à travers le monde. 

Il a fait de la grenouille l'étendard de sa production artistique.

 

 

Inspirations croisées

En cette année Léonard de Vinci, comment ne pas finir en beauté en évoquant - à nouveau - le dialogue magique entre arts et sciences ?

 

Scientifique, passionné par les arts, j'ai souvent, sur ce site, parlé de cette fructueuse rencontre. Souligné par exemple l'étrange beauté de l'imagerie scientifique ou de la microphotographie - en biologie mais pas seulement -, la fantastique traduction picturale d'équations mathématiques complexes, de phénomènes physiques, de réactions chimiques traduites en images.

 

Comme le peintre, le musicien ou le poète, le scientifique est aujourd'hui lui aussi bioinspiré et son travail en témoigne.

L'esthétique scientifique n'est donc pas dépourvue de qualités artistiques. 

 

Le chercheur est un créateur et sa démarche, sa quête, évoque parfois celle de l'esthète. Je pense bien sûr au côté sublime de certaines démonstrations mathématiques, mais d'autres parallèles pourraient être cités. Dans ma discipline, la chimie, on évoque souvent l'élégance d'une synthèse.

 

In this year Leonardo da Vinci, how can we not end in beauty by evoking - once again - the magical dialogue between arts and sciences?

Scientific, passionate about the arts, I have often, on this site, talked about this fruitful meeting. Highlighted for example the strange beauty of scientific imaging or microphotography - in biology but not only -, the fantastic pictorial translation of complex mathematical equations, physical phenomena, chemical reactions translated into images.

Like the painter, musician or poet, the scientist is now also bioinspired and his work testifies to this.

Scientific aesthetics is therefore not without artistic qualities. 

The researcher is a creator and his approach, his quest, sometimes evokes that of the aesthete. I am of course thinking of the sublime side of some mathematical demonstrations, but other parallels could be mentioned. In my discipline, chemistry, we often talk about the elegance of a synthesis.

 

Hicham Berrada, artiste et alchimiste

Quand la magie des sciences infuse l’art...

Une chaire Arts et Sciences

Centre Pompidou -Table ronde, un débat pluridisciplinaire avec des œuvres de Meghann Riepenhoff, dans un dispositif scénique expérimental
Centre Pompidou -Table ronde, un débat pluridisciplinaire avec des œuvres de Meghann Riepenhoff, dans un dispositif scénique expérimental

 Quoi donc de plus naturel, qu'arts et sciences veuillent concrétiser cette histoire d'amour !

 

Ce fut fait le 27 septembre 2017, au moment où la chaire Arts & Sciences a vu le jour, conjointement portée sur les fonds baptismaux par deux phares de l’enseignement supérieur français : l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs (EnsAD) et l’École Polytechnique.

C'était une première mondiale.

 

"Véritable laboratoire, la première Chaire “arts & sciences” en Europe est portée par une triple ambition :

– faire dialoguer les arts et les sciences de la nature, de l’homme et de la société pour mettre en œuvre des processus hybrides de recherche et de création ;

– produire ensemble et autrement des formes et des connaissances nouvelles sur les grandes questions de société ;

– faire émerger un projet d’avenir partagé en formant des étudiants et étudiants-chercheurs à une pensée complexe pour un futur responsable."

 

 What could be more natural, then, than arts and sciences want to make this love story a reality?

This was done on 27 September 2017, at the time the Arts & Sciences Chair was created, jointly funded by two French higher education lighthouses: the École nationale supérieure des Arts Décoratifs (EnsAD) and the École Polytechnique.

It was a world first.

 

 "As a true laboratory, the first "Arts & Sciences" Chair in Europe is driven by a triple ambition:

- to bring together the arts and sciences of nature, man and society to implement hybrid processes of research and creation;

- produce new forms and knowledge on major societal issues together and in other ways;

- to bring out a shared future project by training students and student-researchers in complex thinking for a responsible future."

 

 

Hélène Bellenger
Hélène Bellenger
Diane Hymans
Diane Hymans

Les résidences Arts et Sciences

 

A une échelle moins spectaculaire, mille et une initiatives célèbrent le mariage de l’art et de la science.

 

De nombreuses résidences de recherche ont vu le jour.

 

J'ai relaté récemment l'initiative de l'INSERM : La Recherche de L' Art

" La recherche de l'art est un projet artistique. Chaque année, des laboratoires Inserm accueillent des artistes de l'École nationale supérieure de photographie d'Arles. Ils y donnent naissance à des œuvres qui explorent les frontières entre art et science."

 

Aux Cinquantième Rencontres d'Arles (2019), était exposé le travail d'Hélène Bellenger (résidente au laboratoire Imagerie et cerveau de Tours - unité Inserm 1253) qui détourne la fabrication des images scientifiques afin de mieux questionner la "disneylandisation" de la science à des fins communicationnelles.

Diane Hymans, suite à sa résidence à l’Institut de biologie de Valrose (unité Inserm 1091), cherche pour sa part à décontextualiser des outils de laboratoire pour interroger leur forme en évacuant leur usage.

 

L’Atelier Arts-Sciences est une initiative conjointe du CEA - Grenoble et de Antoine Conjard, directeur de l’Hexagone Scène Nationale Arts Sciences - Meylan.

 

Dans le même ordre d'idée il faut aussi évoquer les Résidences Arts et Sciences de l'Université de Bordeaux.

 

 La revue Pour la Science a publié un numéro hors-série "Art et Science" qui présente quelques exemples de belles rencontres.

Bleu comme une orange

"Reconnaître un objet visuellement n’est pas aussi simple qu’il n’y parait. Notre cerveau construit cette signification, puis il reforme les contours de l’objet et c’est ainsi que nous le voyons. Qu’est-ce que la forme et la couleur apportent à la perception humaine ? Pour répondre à cette large question, « Bleu comme une orange » associent deux points de vue : celui du psychologue et celui de l’artiste" U. Bordeaux

 

"Visually recognizing an object is not as simple as it looks. Our brain constructs this meaning, then it reforms the contours of the object and that's how we see it. What does shape and colour bring to human perception? To answer this broad question, "Blue as an orange" combines two points of view: that of the psychologist and that of the artist" U. Bordeaux

 

 

Science et art : beau comme le cerveau en IRM

Quelques exemples d'images scientifiques publiées sur ce site