L’une des soi-disant exigences idéales de la société civilisée […] dit : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». […] Pourquoi une prescription si pompeuse si sa mise en œuvre ne peut pas être recommandée comme raisonnable ? S. Freud
Présenter les principaux outils de l'analyse freudienne en 3'47, c'est une gageure et pourtant Isabelle Sorente y parvient et présente clairement les fondements de la psychanalyse.
Freud, tout au long de sa vie a évolué. La crise économique de 1929, l'irristible montée du nazisme accentuent son pessimisme. Il écrit à Stefan Zweig qu'il tremble pour ses sept petits-enfants.
Freud postule que certains phénomènes de la vie psychique font écho à la vie de la Cité et réciproquement.
Dans son ouvrage "Malaise dans la civilisation/culture" publié en 1930, Freud écrit :
« La question du sort de l’espèce humaine, me semble se poser ainsi : le progrès de la civilisation saura-t-il, et dans quelle mesure, dominer les perturbations apportées à la vie en commun par les pulsions humaines d’agression et d’autodestruction ?
A ce point de vue, l’époque actuelle mérite peut-être une attention toute particulière. Les hommes d’aujourd’hui ont poussé si loin la maîtrise des forces de la nature qu’avec leur aide il leur est devenu facile de s’exterminer mutuellement jusqu’au dernier. Ils le savent bien, et c’est ce qui explique une bonne part de leur agitation présente, de leur malheur et de leur angoisse. Et maintenant, il y a lieu d’attendre que l’autre des deux « puissances célestes », l’Eros éternel, tente un effort afin de s’affirmer dans la lutte qu’il mène contre son adversaire non moins immortel ».
L’adversaire en question c’est Thanatos, la mort.
L'homme n'est pas naturellement bon dit Freud en s'opposant à Rousseau. La culture (civilisation) est un artifice pour brider son agressivité.
Et de cette censure il souffre.
« L’existence de ce penchant à l’agression, que nous pouvons ressentir en nous-mêmes et présupposer à bon droit chez autrui, est le facteur qui perturbe notre relation au prochain et oblige la culture aux efforts qu’elle déploie. Par suite de cette hostilité primaire des hommes les uns envers les autres, la société culturelle est sans cesse menacée de ruine...
... De là la mise en œuvre de méthodes pour inciter les hommes à l’identification et aux relations d’amour réfrénées dans leur visée, de là la restriction de la vie sexuelle, de là aussi le commandement idéal : aimer son prochain comme soi-même, qui se justifie effectivement par le fait que rien n’est plus contraire à la nature humaine originelle.
Malgré tous ses efforts, cette aspiration de la culture n’a pas atteint grand-chose jusqu’ici. Elle espère prévenir les débordements les plus grossiers de la violence brutale en s’arrogeant le droit d’exercer une violence sur les criminels, mais la loi ne saurait avoir de prise sur les manifestations les plus prudentes et les plus fines de l’agression humaine.
Chacun de nous en vient à laisser tomber les attentes illusoires qu’il a placé dans ses semblables dans sa jeunesse, et peut apprendre combien leur malveillance lui rend la vie plus difficile et plus douloureuse. Ce faisant, il serait injuste de reprocher à la culture de vouloir exclure des activités humaines la querelle et la compétition. Sans doute sont-elles indispensables, mais l’antagonisme n’est pas nécessairement de l’hostilité, il lui sert seulement de prétexte. »
Dans cet ouvrage prophétique, qui annonce Hitler, Staline, Poutine, l'Etat Islamique et Nethanyaou... il dit aussi :
"L’homme n’est point cet être débonnaire, au cœur assoiffé d’amour, dont on dit qu’il se défend quand on l’attaque, mais un être au contraire qui doit porter au compte de ses données instinctives une bonne somme d’agressivité.
Pour lui, par conséquent, le prochain n’est pas seulement un auxiliaire et un objet sexuel possibles, mais aussi un objet de tentation.
L’homme est en effet tenté de satisfaire son besoin d’agression aux dépens de son prochain, d’exploiter son travail sans dédommagements, de l’utiliser sexuellement sans son consentement, de s’approprier ses biens, de l’humilier, de lui infliger des souffrances, de le martyriser et de le tuer. Homo homini lupus [l'homme est un loup pour l'homme] : qui aurait le courage, en face de tous les enseignements de la vie et de l’histoire, de s’inscrire en faux contre cet adage ?
Sigmund Freud, Malaise dans la civilisation, extraits (1929, publié 1930).
Et pourtant il n'avait pas connu la Shoah, Hiroshima, le goulag...
Voila pourquoi l'histoire ne nous apprend rien, pourquoi inlassablement les mêmes causes produisent les mêmes effets.
Voir aujourd'hui un peuple qui fût ostracisé, traqué, et finalement martyrisé et exterminé, élire librement un gouvernement tout puissant qui applique une sorte de solution finale, en rasant des territoires, pulvérisant hôpitaux et écoles, assoiffant, affamant une population traquée, martyrisée, décimée...
... nous désespère, mais rend bien compte de la noirceur de l'âme humaine.
Libéré de la censure que constitue la culture/civilisation, assuré de son impunité, l'homme peut laisser libre cours à une agressivité qui le pousse, non "à aimer son prochain" mais à le détruire.
Que l'on ne nous dise pas qu'il ne s'agit que de cas extrêmes provoqués par quelques tyrans coupés du peuple. Mais c'est nous tous qui les laissons agir et qui souvent les avons portés au pouvoir.
Quand les Américains ont libéré certains camps de la mort en 1945, ils ont contraint les riverains, qui "n'avaient rien vu, rien entendu, rien senti", à venir contempler les charniers et les dispositifs destinés à exterminer femmes, enfants, vieillards et à valoriser les restes.
Beaucoup de ces voisins indifférents se sont effondrés.
Ils pleuraient sur qui ?
Pas sur ce malheureux peuple qu'ils avaient pendant des siècles marginalisé, mais sur eux-mêmes, moutons bêlants qui n'avaient rien voulu savoir, rien voulu entendre, rien voulu sentir !