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Chronique d'un désastre accompli - IV - La haine des intellectuels

 

"Plus un peuple est éclairé, plus ses suffrages sont difficiles à surprendre [...] même sous la constitution la plus libre, un peuple ignorant est esclave."

Condorcet - Cinq Mémoires sur l'instruction publique

 

La haine des "intellectuels"

Dans tous les pays totalitaires, il est dangereux de penser.

 

Le pouvoir pense pour vous...

 

Les autodafés de livres sont la manifestation la plus spectaculaire de la haine des intellectuels qui anima l'extrême-droite au XXème siècle.

 

Les nazis en particulier organisérent dès 1933 à Berlin de gigantesques brasiers de publications jugées "malsaines". Parmi les auteurs visés :  Bertolt Brecht,  Sigmund Freud,  Heinrich Mann,  Karl Marx,  Arnold Zweig, Stefan Zweig,...  considérés comme « dégénérés »

 

("Quand j'entends le mot culture, je sors mon révolver")

phrase attibuée à divers leaders nazis 

 

La phalange franquiste organisa le 30 avril 1939 un autodafé de style nazi à l'université centrale de Madrid où furent notamment brûlés des livres de Maxime Gorki, Sabino Arana, Sigmund Freud, Alphonse de Lamartine, Karl Marx, Jean-Jacques Rousseau et Voltaire.

 

Plusieurs autodafés ont été perpétrés sous la dictature de Pinochet. Les militaires contrôlaient l'activité éditoriale et plusieurs écrits de tendance socialiste ou contestataire ont été détruits, comme les œuvres de Pablo Neruda et Gabriel García Márquez

 

L'anti-intellectualisme a souvent été un marqueur de l'extrême-droite.

 

La notion d’intellectuel s’impose à partir de 1898 avec l’affaire Dreyfus.

 

Alors que des écrivains et universitaires mettent leur prestige au service de la défense publique du capitaine Dreyfus, ils suscitent une violente riposte. Des antidreyfusards comme le nationaliste Maurice Barrès attaquent ces « intellectuels » outrecuidants qui, au nom de la raison et de l’universel, mépriseraient l’armée, la nation et leur « groupe naturel », celui des « simples Français ».

Bien des courants antirépublicains, antisémites et réactionnaires broderont sur ce thème.

 

Plus tard, le mouvement poujadiste (où JM Le Pen occupe une place de choix), dans les années 1950, puis le Front national reprendront le flambeau.

 

En fait, l’anti-intellectualisme se confondra souvent avec la haine de la démocratie.

 

Mort aux "élites"

Complotisme et charlatanisme

 La "Haine des clercs" est à nouveau dans l'air du temps.

 

Les scientifiques, désormais pris régulièrement à parti, parfois violemment, sont qualifiés d' "élitistes", de suppots des pouvoirs, de vendus aux laboratoires pharmaceutiques, de corrompus...

 

Le révélateur de cet état d'esprit a été la crise du COVID, où tous ceux qui dénonçaient le charlatanisme de Didier Raoult (faire une recherche Raoult sur ce site) ont été injuriés, livrés à la vindicte populaire, parfois menacés de mort.

 

 Sur l'imposture hydroxychloroquine, le recit dans la Revue américaine "Science"

 

Les scientifiques nous embrouillent, parlent un charabia incompréhensible, restent entre-eux... Ils nous cachent la vérité... affirment ces complotistes !

 

Quand quelques cachets de chloroquine suffisent, ils veulent nous empoisonner avec un vaccin. Leur médecine nous assujetit. Refusons-là... etc !

 

Dès lors, les naturopathes et les charlatans auront le vent en poupe : quelques grains d'Hellebore et adieu le cancer ! (*)

 

Les extrêmes surfent sur cet obscurantisme ; on a vu Le Pen et Mélenchon exprimer la même réserve sur le vaccin ARNm.

 

L'extrême-droite a orchestré la campagne pour Raoult et l'hydroxychloroquine et a développé les pires thèses complotistes sur les vaccins,  "capables d'altérer nos gènes".

 

Tout ce qui peut s'apparenter de près ou de loin à une "élite" est rejeté ;  les compétences sont mises en doute  par la France "d'en bas" qui y voient un complot de la France "en haut" !

 

Ce n'est pas un hasard si le vote Le Pen, est particulièrement élevé chez les nons diplômés.

 

Plus on est éduqué plus, on est apte à déjouer l'endoctrinement.

 

La carte qui met en évidence le vote plutôt à gauche des métropoles (Paris, Bordeaux, Toulouse, Montpellier, Strasbourg, Lyon, Nantes, Rennes...) face à un vote RN chez les ruraux, correspond en fait à ce déficit éducatif qui perdure dans nos campagnes.

 

« C’est effectivement un effet de morphologie sociale », abonde le sociologue Benoît Coquard, qui travaille sur les campagnes en déclin. Il rappelle que les catégories populaires faiblement diplômées y sont surreprésentées. « Les diplômés issus de ces territoires partent en ville, ou dans des campagnes plus attractives avec davantage de diplômés votant à gauche. »

 

Le Monde, 02 07 2024

 

Les "élites" méprisent-elles donc le peuple ?

 

C'est le  leitmotiv de l'extrême-droite depuis qu'elle existe. Les "élites" sont forcément vénales, corrompus, méprisantes. Vive donc les "médiocres", qui sont forcément des purs !

 

Pour moi, il n'y a pas une élite et des médiocres : il y a des gens professionnellement compétents et sérieux et les autres.

 

Le Pen, Bardella et consorts sont incompétents dans leur domaine et ils menacent gravement l'avenir de ce pays.

 

(*) C'est ainsi qu'aujourd'hui une médecine quantique (sic) fait un tabac. J'ai demandé à un de ces" praticiens" rencontré par hasard (c'est incroyable le nombre de ces cabinets qui mettent en avant le vocable "quantique") de m'expliquer le fondement de sa pratique.

Il m'a récité ce que l'on trouve un peu partout sur le Net :

 

"Ce ne sont pas les échanges biochimiques des cellules qui déterminent la santé (comme le dit la science officielle) mais les informations que celles-ci s’échangent par le biais  de champs énergétiques qui influencent l’organisme"

 

Les cellules échangeraient donc des photons obéissant aux postulats de la mécanique quantique (qu'ils ignorent totalement !).

De quoi se taper la tête contre les murs !!!

 

Les chercheurs français écœurés par la victoire du RN

"Quand tout est si simple, pourquoi le compliquer ?"
"Quand tout est si simple, pourquoi le compliquer ?"

Les scientifiques savent ce que veut dire l'accès de l'extrême-droite au pouvoir.

 

Ils ont un exemple grandeur nature avec le gouvernement Trump aux USA :

 

- démantélement des équipes travaillant sur le dérèglement climatique, encouragements aux climatosceptiques,

- transfert des crédits destinés à la transition écologique vers les recherches pétrolières et minières,

- suppression de lignes budgétaires pour des sujets contraires à la ligne politique du pouvoir...

 

La revue scientifique la plus réputée, Nature, s'en était émue au point qu'elle avait consacré un éditorial sur le sujet (une première dans son histoire).

 

 Les chercheurs français inquiets au plus haut point

 

Depuis le coup de tonnerre de la dissolution, le monde de la recherche a multiplié les prises de position publiques pour dénoncer les périls qui accompagneraient l’arrivée au pouvoir du Rassemblement national (RN).

 

Avant même le premier tour des législatives, cinq Prix Nobel français, associés à de nombreux chercheurs, soulignaient, le 25 juin, dans une tribune au Monde, que cela constituerait « une menace grave et immédiate pour la recherche et l’enseignement supérieur en France », du fait de « positions xénophobes et nationalistes » qui « isoleraient la France de la communauté scientifique internationale ».

 

 Le Collège de France, l’Académie des sciences et d’autres institutions scientifiques ont, depuis, fait état de leurs inquiétudes.

 

Le journal "Le Monde" a fait le tour des laboratoires.

 

 « Angoisse », « cauchemar », « je suis terrifiée, impuissante, sidérée », « l’ambiance est triste », « j’ai peur »... voila ce que les journalistes ont le plus souvent entendus.

 

Les chercheurs craignent en particulier :

 

- l'abandon des crédits pour la transition énergétique, le climatoscepticisme,

- le repliement, la fin des échanges scientifiques avec les pays du sud, le départ des cadres et des étudiants étrangers que certains préparent déjà,

- les obstacles à la recherche fondamentale,

- et surtout la mise en danger de la liberté académique.

 

Le brillant  épidiémologiste franco-roumain Mircea Sofonea (Université de Montpellier puis Perpignan) rappelle :

 

  « Les qualificatifs méprisants – “covidiste”, “covidiot” – qui ont émané de l’extrême droite à l’égard des scientifiques intervenant dans les médias durant la pandémie de Covid-19 ne me rassurent pas quant à la liberté académique relative à des sujets d’intérêt collectif »

 

Il ne faut pas oublier que plusieurs contradicteurs de Didier Raoult, -héros de l'extrême-droite- ont été menacés de morts !

C’est, au fond, cette question de la liberté académique qui est en jeu, avec un risque d’arbitraire politique. Une historienne (qui a requis l’anonymat) estime que le RN aurait les leviers pour favoriser ses propres thématiques.

 

L’Agence nationale de la recherche, estime-t-elle, « permet déjà de trier les thèmes de recherche et les budgets »

 Dans les sciences humaines et sociales, plusieurs témoignages évoquent des craintes pour un secteur qui a déjà souffert d’être accusé d’« islamo-gauchisme » par l’actuelle majorité.

 

Selon le sociologue Michel Dubois (CNRS), qui résidait aux Etats-Unis sous la présidence de Donald Trump, « l’expérience montre qu’un régime illibéral commence par couper les fonds à la recherche en sciences sociales, considérée comme inutile ou susceptible d’affaiblir son propre “récit” alternatif ».

 

Le mathématicien Piet Lammers (CNRS, Sorbonne Université) craint quant à lui un scénario à la hongroise, où l’Université d’Europe centrale, fondée par George Soros, avait un temps été contrainte de déménager en Autriche. Il dit redouter l’instauration d’une forme de censure, ou, « pire encore, d’autocensure ».

 

https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/07/03/legislatives-2024-la-recherche-tetanisee-par-la-perspective-d-une-victoire-du-rassemblement-national_6246529_823448.html

 

 Rétrospectivement, j'ai moi aussi la frousse : que se serait-il passé si ces gens là avaient été au pouvoir durant la pandémie ?

 

Trump avait dû s'incliner aux USA devant un scientifique courageux Anthony Fauci,  directeur de l'Institut national des allergies et maladies infectieuses (NIAID), qui a ensuite fait le récit hallucinant de ces années :

 

"« Trump recevait des commentaires de personnes qui l’appelaient, je ne sais pas qui, des gens qu’il connaissait dans le monde des affaires, qui lui disaient :  Hé, j’ai entendu parler de cette drogue, n’est-ce pas génial ?  ou :  Mec, ce plasma convalescent est vraiment phénoménal. 

 

De mon côté, j’essayais de lui expliquer calmement que vous découvrez si quelque chose fonctionne en faisant des recherches, des tests, des essais cliniques appropriés, puis que vous soumettez vos résultats à un examen par vos pairs. Et lui répondait :  Oh, non, non, non, non, non, non, non, ce truc fonctionne vraiment.  Et c’est ce qui s’est passé avec l’hydroxychloroquine ».