A l'aide à l'aide
A l'aide
Je sens la vie qui se rapproche
alors que tout ce que je veux
c'est mourir...
Marilyn Monroe, au Dr Mike Fayer (1958), Fragments, p163
Naître avec un pied bot, un membre atrophié, un visage repoussant, afficher un handicap visible vous attire sympathie, pitié ou au contraire provoque la répulsion et le rejet. Il assigne votre place au sein de la communauté des gens "normaux" et dès lors la communication s'établit sur des bases claires.
Tel n'est pas le cas de ceux pour qui la chimie du cerveau est perturbée par quelques dysfonctionnements dans la production ou la circulation de ces messagers chimiques, les neurotransmetteurs (ou neuromédiateurs), qui régulent humeurs, pulsions et angoisses.
Quand la beauté, le charisme, l'intelligence, le talent..., renvoient au monde entier l'image du bonheur et du succès, vivre avec ce handicap devient parfois, un supplice.
Alors au jour le jour il faut compenser, lutter pour donner le change et continuer à renvoyer aux "gens normaux" les signaux qu'ils attendent de vous.
En lisant "Fragments"(1), qui rassemble divers écrits bruts de Marilyn (je dirais des bribes, des lambeaux de vie), on perçoit combien cette lutte est inégale, comment la souffrance qui accompagne chacun des actes de sa vie quotidienne, de sa vie amoureuse, de sa vie professionnelle, va finir par l'emporter hors de ce monde, vers la tombe ou l'asile.
Pas besoin d'avoir beaucoup lu Freud (qu'elle connait bien) pour saisir que fuir à la fois l'image de la mère -qui finira folle- et chercher dans tous les hommes l’amour et le réconfort d'un père inconnu, ne l'aide pas à sortir de ce marasme psychologique.
Alors Marilyn se drogue, s'allonge avec le premier homme qui passe, séduit un président, un chanteur maffieux, un roi de la pègre, un écrivain célèbre... mais surtout, de psychanalyses en psychanalystes -avec lesquels elle va aussi finir par coucher-, elle cherche à comprendre, à traquer au tréfonds d'elle-même, la bête immonde qui l'étouffe (2).
L'issue, elle la connait, elle la réclame dans ce petit poème que j'ai retranscrit plus haut.
Ce document est bouleversant. C'est un témoignage éloquent sur la souffrance psychique et la révélation d'une intelligence toute entière tendue vers le déchiffrage du soi.
Oh comme j'aimerais être
morte - absolument non existante -
partie loin d'ici - de partout mais comment le ferais-je
il y a toujours des ponts - le pont de Brooklyn
Mais j'aime ce pont
...
Donc
il faudrait que ce soit un autre pont
un pont moche et sans vue - sauf
que j'aime chaque pont en particulier - il y a quelque chose en eux et d'ailleurs je n'ai
jamais vu un pont moche
Poème non daté ( .. elle était un poète au coin de la rue essayant de réciter ses vers à une foule qui lui arrache ses vêtements - Arthur Miller-)
(1) Fragments, Marilyn Monroe
(2) Il est fortement conseillé de lire en parallèle Marilyn dernières séances, publié chez Grasset (2006), par le psychanalyste Michel Schneider