«On nous fait croire que le bonheur c'est d'avoir des avoirs plein nos armoires»
Alain (Souchon)
En décembre prochain, c'est à Copenhague, que se jouera -en partie- l'avenir de notre planète : il s'agira de prolonger et surtout d'améliorer le protocole de Kyoto, un des traités fondamentaux de la gouvernance mondiale sur le climat, ratifié par près de 200 états (à l'exception notable des USA !), qui vient à échéance en 2012.
Je reviendrai sur les enjeux considérables de la réunion de Copenhague sur ce blog.
A l'approche de ce sommet, le Danemark est donc à l'honneur. Le nouveau Monde Magazine (n°1, 19 septembre 2009) fait sa une sur un «Voyage au pays du bonheur» et s'interroge sur les raisons qui font que, selon une étude sérieuse, les danois seraient « les champions du bonheur ».
Dans cette enquête, réalisée en 2006 par un chercheur de l'université de Leicester (Adrian White) , où l'on retrouve 4 pays nordiques dans les 8 premiers (Danemark, Islande, Finlande et Suède), les USA sont 23ème, le Royaume-Uni, 41ème et la France... 62ème !
Mais pourquoi les Danois sont-ils heureux ?
L'hebdomadaire essaie d'abord de comprendre comment on peut évaluer le bonheur d'un peuple. Il cite Ruut Veenhoven (grand spécialiste de l'étude du bonheur qui enseigne à l'Université Erasmus de Rotterdam) :
« Quand j'étais jeune sociologue une bonne société était une société socialiste, plus tard c'était une société libérale, plus tard une société religieuse... tout ça est idéologique.... La seule chose que l'on peut affirmer, c'est si à un endroit donné les gens vivent heureux ».
Ce qui est sûr c'est que la réponse n'est pas seulement dans les indices économiques. Le PIB, qui comme le martèle les altermondialistes n'est qu'une simple mesure de la production, doit-il être remplacé par le bonheur national brut adopté par le roi du Bhoutan (8ème dans le classement de Leicester) dans les années 70 ou par le bonheur intérieur net (BIN) créé par un institut canadien ?
Pourquoi donc les danois sont-ils si heureux et les français si malheureux (en tout cas de moins en moins heureux depuis 2001 selon le calcul du BIN établi par le magazine L'Expansion) ?
Le modèle économique, cette fameuse flexsécurité à la danoise (qui n'a rien à voir avec le social-libéralisme à la Tony Blair), y est quand même, sans doute, pour quelque chose :
L'Etat-providence danois instauré dans les années 30 ne laisse aucun de ses enfants sur la touche, cogère avec les syndicats (taux de syndicalisation : plus de 85%) et emploi 30% de l'ensemble des salariés dans un service public de qualité. Le taux de chômage, avant la crise financière s'établissait à 2% (environ 3,3 aujourd'hui).
La flexsécurité c'est certes une plus grande facilité de licencier, mais une bien meilleure prise en charge des chômeurs et des mécanismes efficaces (formation tout au long de la vie notamment) de retour à l'emploi. Les libéraux au pouvoir cherchent évidemment à remettre en cause un modèle fort peu apprécié par les capitalistes locaux et par l'Europe (mais les danois ont refusé l'euro et se méfient comme de la peste de la commission européenne !). Cependant la crise financière les conduit aujourd'hui à la circonspection !
L'autre raison avancée, d'ordre sociologique, est plus inquiétante et explique le score considérable (près de 15%) du parti d'extrême-droite aux dernières élections européennes (et sans doute aussi ces fameuses caricatures de Mahomet publiées par les journaux danois).
Le Monde magazine rappelle qu'il y a 350 ans, le Danemark était un vaste empire. Sa chance, fit remarquer un historien, fut d'avoir perdu toutes les guerres et de se délester ainsi de toutes ses minorités (Lapons, Suédois, Allemands, Norvégiens...) pour constituer un état d'une incroyable homogénéité culturelle, linguistique et religieuse qui va assurer la prospérité d'un nationalisme coopératif et social.
La vague d'immigration des années 80-90 (le Danemark avait le taux d'immigration le plus élevé d'Europe sur cette période) a mis à mal chez certains ce sentiment d'appartenance à la tribu et provoqué des réactions de rejet. Aujourd'hui le flux d'immigration vers le Danemark est le plus faible du continent...
Le parcours du couple Ralf Pittelkow/Karen Jespersen, membres éminents du parti social-démocrate, aujourd'hui respectivement collaborateur et membre du gouvernement libéral, qui ont écrit deux ouvrages très controversés (dont le fameux Islamistes et Naïvistes; un acte d'accusation) sur l'immigration et l'islam, témoigne de l'évolution des mentalités au nord de l'Europe.
Beaucoup de danois cependant refusent de se replier sur un nationalisme frileux. Des sociologues rappellent que pour Durkheim " la société industrielle moderne passe d'un système de solidarité mécanique (on est solidaire entre semblables) à un système de solidarité organique (on peut être solidaire de personnes différentes de soi)."
« Le défi aujourd'hui c'est d'apprendre à vivre ensemble dans une société pluriéthnique... Les gens doivent apprendre à être offensés de temps en temps. » conclut le journaliste Fleming Rose qui rappelle que sans l'Etat-providence, avec une mère qui élevait seule trois fils, il n'aurait jamais pu étudier le russe, la sémiotique, la phénoménologie et être là ou je suis.
La conclusion de l'article, sur un mode lyrique, se veut optimiste :
« Pourtant, quand revient la Saint-Jean et que la Scandinavie entière s'illumine de milliers de feu de joie envoyant aux gémonies des sorcières de pacotille..., Turcs et Pakistanais, étudiantes tatouées et homos végétariens, grands Vikings et femmes voilées se rassemblent autour du bûcher réconciliateur... et affirment que s'ils devaient mesurer leur bonheur sur une échelle de 0 à 10, ils répondraient sans hésiter 10. »
Voilà des images que l'on aimerait voir plus souvent !
A venir, Le bonheur (2) : Mais pourquoi les français sont-ils si malheureux ?
Ci-dessous : complément du 06 décembre 2012
Y a-t-il quelque chose de magique au Royaume de Danemark ?
Le Corruption Perceptions Index 2012 publié par Transparency International , place le Danemark en tête des pays vertueux avec une note de 90 sur 100.
Sur 176 pays évalués, la moitié n'atteint pas la moyenne. La France, avec un score de 71, occupe la 22ème place, avec les Bahamas, juste derrière le Chili. Peut-mieux faire !
Décidemment le petit royaume nordique cumule les bons points ! En 2009, sur ce blog, j'avais cité diverses enquêtes qui plaçaient les Danois en tête du palmarès " des peuples heureux " (Le bonheur au pays de Vikings).
J'y évoquais cette fameuse flex(i)sécurité à la danoise qui dans un premier temps a donné des résultats très spectaculaires sur le marché de l'emploi, en particulier des jeunes (voir courbes ci-après).
Ce système de compromis entre syndicats, patronat et état, repose notamment sur l’idée que c’est l’employabilité de l’individu qu’il faut d’abord protéger et non son emploi.
Il s’agit d’un système triangulaire, combinant un faible niveau de réglementation avec un niveau élevé d’assistance et de prise en charge financière des personnes privées (temporairement) d’emploi par la collectivité.
La contrepartie est un coût très élevé pour la collectivité (le taux des prélèvements obligatoires atteint 55% au Danemark) et une politique de formation tout au
long de la vie extrêmement performante . La crise économique actuelle met d'ailleurs en péril ce fameux modèle danois (voir courbe 1; actuellement le taux
de chômage dépasse 7%).
Autant dire que notre pays n'est absolument pas préparé à s'engager sur cette voie, réclamée à cor et à cri par le patronat... qui comme les dirigeants des pays
anglo-saxons sont focalisés sur la première partie de cet oxymore : flexi(bilité) !
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